La formation aux cultures numériques : le livre !

Voilà! J’ai le plaisir de publier chez FYP éditions, mon premier ouvrage : La formation aux cultures numériques dont le sous-titre est : une nouvelle pédagogie pour une culture de l’information à l’heure du numérique.

Le livre est issu de travaux de recherche, d’expériences de terrain en tant que professeur-documentaliste et formateur mais le style d’écriture et le contenu vise un public beaucoup plus large.  Je remercie mon éditeur qui a veillé sur ce travail afin qu’il soit accessible au plus grand nombre. J’ai donc du faire quelques efforts pour éviter de trop parler d’hypomnemata!
Voici donc la présentation de l’éditeur :
Peut-on vraiment prétendre qu’il suffit de faire partie de la génération Y – d’être né à l’époque des jeux vidéos et de l’internet – pour posséder une maîtrise innée de la gestion de l’information et des outils du numérique ? Les mutations engendrées par le numérique ouvrent la porte à de grandes potentialités, mais également à de nombreuses interrogations sur l’évolution intellectuelle, culturelle et éducative de la société. Cet ouvrage met en évidence les dangers et les problématiques de la confusion entre usages et culture. Olivier Le Deuff questionne notamment les évolutions de la lecture, de l’écriture et de l’exercice de notre pensée. Il explique comment former les individus à des environnements numériques toujours en construction et qui, eux aussi, nous transforment. Il propose une nouvelle pédagogie pour l’acquisition d’une culture de l’information et l’adaptation à la civilisation numérique. L’auteur montre également comment adapter les programmes éducatifs, les méthodes et les lieux de formation, et quels sont les apprentissages nécessaires pour les jeunes et les adultes qui doivent désormais se former « tout au long de la vie ». C’est un ouvrage indispensable aux enseignants, formateurs, pédagogues, gestionnaires de l’information, politiques, créateurs de nouveaux services, à tous ceux qui s’interrogent sur le devenir de la formation, et pour que les « natifs » du numérique ne deviennent pas les « naïfs » du numérique.
C’est aussi une forme de prolongement du blog. Il est en effet opportun de temps en temps de changer de support de diffusion.
 
Bonnes lectures

Education Nationale : la dangereuse empreinte administrative comme substitut disciplinaire

Sous couvert de réformes, l’Education Nationale part en vrille depuis plusieurs années.  Cette descente aux enfers s’effectue sous la houlette d’un ministre dont le tribunal de l’histoire se chargera d’un réquisitoire sans concession.
La nouvelle évaluation des enseignants du secondaire se fera principalement selon la vision du chef d’établissement, ce dernier étant lui-même évalué. Il s’agit en gros d’évaluer surtout la conformité avec les projets décidés en haut lieu. Et qu’on ne se méprenne pas, ces projets n’ont rien de pédagogique, c’est tout au plus du bidouillage lié à une culture du résultat qui cherche à remonter de bons chiffres pour flatter l’égo du premier dirigeant du ministère. Cette culture du résultat chiffré et bidouillé n’a aucun sens et aucune réalité concrète sur le terrain.
L’objectif est de mettre en place un système moins couteux et qui parait plus clinquant en apparence notamment en substituant les recrutements d’enseignants par des moyens informatiques plus performants. L’objectif étant aussi de  faire plaisir aux dirigeants d’entreprises informatiques. Pas de pédagogie dans tout cela mais des instruments de flatterie et du mensonge.
Depuis quelques années, le poids des enseignants et des formateurs au sein de l’EN a fortement diminué (désintégration de l’IUFM)  au profit de profils administratifs qui bien souvent constituent des freins à l’innovation, mais qui sous couvert justement de cette dernière, cherchent à imposer leurs vues malgré les réticences et les autres voies offertes par le terrain et par la recherche.
On critique parfois à raison, une trop forte crispation et attachement des enseignants à leur discipline d’origine. Cependant, la logique actuelle est de poursuivre une logique disciplinaire de plus en plus rude et stricte au sens foucaldien qui est celle du contrôle sur les corps et les esprits : un biopouvoir qui s’exerce sur les élèves et les personnels. Ce contrôle disciplinaire devient essentiellement politique et administratif et n’a que peu d’effets pédagogiques si ce n’est de considérer que des évaluations forcées et bidonnées relève de la pédagogie.  Le premier dirigeant du ministère transforme le ministère en une armée avec des généraux et des sous-chefs contraints d’obéir  à des ordres que d’aucuns trouvent souvent idiots. Mais plus personne n’ose rien dire, la peur gagne les rangs à tous les niveaux : l’Education Nationale devient la grande muette !
En ce qui concerne les professeurs-documentalistes, c’est le même effet : rien ne semble se produire tant le terrain escompte sur la lassitude de l’administration a égrené des nouveaux projets peu convaincants et surtout dangereux.
Pascal Duplessis a bien décrit les manœuvres et les dangers qui guettent le corps des professeurs-documentalistes. Or, le terrain reste muet notamment sur les listes de diffusion où l’inertie voire la banalité prend peu à peu le pas. Chacun semble se préoccuper de soi ; l’intérêt général si ce n’est au moins l’impression d’appartenance à un corps en danger devient  peu mis en avant. En grande partie, parce que plus grand monde n’ose s’exprimer publiquement de peur…de représailles. Les mails privés, les discussions en aparté dominent mais personne n’ose.
Comment peut-on imaginer que le lieu où doit se forger l’esprit critique et la capacité à exprimer son opinion argumentée telle que le nécessite une démocratie soit devenu à ce point censuré et auto-censuré ?
Clairement, pour les professeurs-documentalistes, une des solutions possibles peut se construire dans l’espoir d’une alternance politique. Cette solution est simple : c’est la sortie pure et simple et définitive de l’égide de la vie scolaire pour aller vers la création d’un corps d’inspecteurs dédiés.  Sans cette sortie, il n’y a aucun espoir car ce serait rester sous le contrôle direct d’une administration exécutive qui n’a plus rien de pédagogique. C’est la seule perspective pour le développement réel d’une culture de l’information et de son volet didactique.
Le learning center par opposition constituerait le tombeau définitif du mandat pédagogique et ferait sortir les professeurs-documentalistes du corps des enseignants.  Mais il n’y a pas que les professeurs-documentalistes. Il apparait de plus en plus clairement que c’est d’ailleurs une commande du ministère de supprimer un maximum de corps d’enseignants et de faire disparaître un grand nombre de disciplines.
Alors pour finir, j’ai envie d’inviter à renverser la tendance.  C’est maintenant qu’il faut s’exprimer.  Soit l’alternance se concrétise et on pourra placer des espoirs si on l’a bien préparée, soit elle ne se fait pas et la fin de l’EN sera alors inéluctable d’une manière téléologique.  Mais au moins, on sera mort les armes (intellectuelles ?) à la main.
Mais j’ai bon espoir dans un renouveau pour ma part et j’ai envie de renverser les menaces.  En cas d’alternance, on saura parfaitement se souvenir de qui aura joué lamentablement double-jeu et aidé le premier dirigeant dans ses bas desseins. C’est donc l’heure de l’ouvrir et de proposer des pistes de renouveau.
Mise à jour :  A lire aussi cet article sur Slate.

Best of SI du mois d’octobre

Un petit retour sur les billets qu’il fallait ne pas rater en octobre. L’occasion aussi de découvrir et de redécouvrir de nouveaux blogs et blogueurs.

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Veille et analyse documentaire

C’est probablement parce que je dois donner des cours à l’IUT sur le sujet que je m’aperçois qu’une pratique un peu désuète comme le résumé prend tout son sens dans un travail de veille. J’essaie depuis quelques mois de mieux détailler sur diigo les résumés des ressources que j’indexe, notamment quand il s’agit de les mettre à disposition dans le bouillon.
Lionel Dujol effectue un effort du même type en résumant de manière indicative également sa veille. Il fait le choix d’en donner moins, mais de veiller justement à une bonne qualité de l’information qui se trouve déjà pré-analysée.
La fameuse « curation » critiquée très élégamment par Frédéric Martinet, c’est en fait simplement la redécouverte d’une sélection de l’information organisée, thématisée avec des résumés au moins indicatifs. C’est aussi la possibilité d’offrir des synthèses, voire des notes de synthèses (un de mes autres cours à l’iut d’ailleurs) un peu à l’instar des excellentes réalisées à l’INRP (je me souviens jamais du nouveau nom). Bref à nouveau de la documentation pur jus. On a beau dire, on y revient toujours.
Ces techniques d’analyse de l’information sont pleinement essentielles aujourd’hui. Plusieurs formes sont évidemment possibles. Les méthodes cartographiques mériteraient d’être considérées comme des analyses à part entière. Récemment, j’ai proposé à mes étudiants de travailler à partir d’un texte complexe et assez long de Rémi Sussan qu’ils devaient résumer. Pour mieux les aider dans cette tâche, on a procédé collectivement à une cartographie des concepts et des idées fortes avec cmaptools. Voici la réalisation faite en cours

Visualisation du texte de Rémi Sussan

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Tout cela pour dire, qu’il faut que le travail de veille ne soit pas qu’un simple signalement mais qu’il constitue une étape propice à la réflexion et à l’apprentissage de connaissances. La jolie carte de Richard Peirano pour explique son PLE (Personal Learning Environment) s’inscrit dans ce cadre.

Désormais, ces techniques d’analyse documentaire se déclinent et peuvent connaître diverses formes avec le numérique. Les outils de « curation » présentent donc des intérêts à condition qu’ils ne demeurent pas de simples gadgets mais bel et bien inscrit dans une stratégie d’analyse poussée.

Le blog du chercheur ou l’effet trampoline

La réflexion  de François Bon, lue ce matin, a un peu aidé la mienne sur le sujet de l’écriture du blog, notamment pour un enseignant-chercheur.
Le blog d’un chercheur est-il une  production professionnelle ou amateur ? Il est évidemment impossible de trancher. De même que prétendre que tous les écrits d’un blogueur qui serait chercheur appartiennent nécessairement à la science. On se trouve clairement dans un entredeux, un de ces espaces qui paraissent parfois dérisoires aux gens sérieux, mais qui sont pourtant essentiel à la communication scientifique et à la communication tout court. C’est souvent là que se joue et s’opère les transitions du fait de la construction d’un effet blogueur, au même titre que l’effet maître en pédagogie. Le blog construit une relation plus intime, liée à une confiance qui se construit peu à peu. Le blog devient le trampoline du chercheur qui peut aisément prendre de la hauteur à partir de ses recherches et de son quotidien. Ces prises de distance et de hauteur lui réclament aussi quelques efforts dans la manière de faire, mais sa régularité en fait une forme d’ascèse nécessaire, un exercice de soi qui recherche l’élargissement de sa pensée, de sa mise en contact avec l’autre. Un autre qui ne se limite pas à ses pairs mais qui s’étend à l’agora. Cette montée n’est pas sans risque, car elle peut être sujette à critiques, désaccords mais elle peut être aussi liée à l’hybris. Le blogueur quittant alors le trampoline, ne voulant plus descendre et préférant s’envoler vers les sphères médiatiques dans lesquelles il finit par se complaire. Il ne revient plus alors sur son terrain, le blog devenant alors autopromotion de soi. Le blogueur dès lors ne parle plus que de lui-même et finit par ne plus rien dire d’intéressant. Tout cela pour dire qu’il n’y a sans doute rien de pire que d’imaginer un blogueur scientifique qui deviendrait blogueur professionnel. L’essence de sa profession est ailleurs. Toutefois, blogueur est un véritable travail : en tant que travail sur soi mais aussi en tant que mise à disposition des autres. Si bien que si on peut considérer que blogueur-chercheur n’est pas une profession, bloguer fait bien partie du travail du chercheur et peut-être encore davantage de l’enseignant-chercheur du fait du caractère pédagogique apparent.
Dès lors, toute montée du blogueur n’en sera que meilleure s’il sait parfaitement retomber sur son terrain pour à nouveau se projeter.IMG_4245
Creative Commons License photo credit: jordan.olels

Réticularité décentralisée et réseaux associés.

Je publie ici des extraits de mon article sur les réseaux de loisirs créatifs disponible d’ailleurs sur archivesic sous forme de preprint.
Ref de l’article : (2010) « Réseaux de loisirs créatifs et nouveaux mode d’apprentissage», Distances et savoirs. Vol.8, n°4, p.601-621
1.1 Réseaux, communautés ou écumes?
Nous nous sommes intéressé au concept de communauté de pratiques pour qualifier ces réseaux de loisirs créatifs en retenant la définition suivante « un réseau social persistant et actif d’individus qui partagent et développent un fond de connaissances, un ensemble de croyances, de valeurs, une histoire et des expériences concentrées sur une pratique commune et/ou une entreprise commune » (Barab, Makinster & Scheckler, 2004, p. 55)

Un joli maillage à détricroter...

Le concept a reçu quelques critiques notamment le fait de ne pas assez prendre en compte les enjeux de pouvoir ainsi que les théories de l’acteur-réseau de Latour et Callon. De plus, le concept repose à la base sur des organisations qui sont principalement des entreprises et non des communautés en ligne, même s’il existe plusieurs transpositions, comme celle de Chanier et Cartier (Chanier, 2006) à propos d’enseignants qui échangeaient en ligne sur leurs pratiques et vécus. Ces derniers évoquaient également le concept de « communauté d’apprentissage ». Cependant, ce concept renvoie à un processus intentionnel d’apprentissage ce qui n’est pas nécessairement le cas présent. Nous sommes aussi face à des communautés en ligne ou virtuelles (Rheingold, 2001). De la même manière, la définition de ces communautés fait débat. Rheingold souligne d’ailleurs la nécessité pour les usagers de développer des compétences sociales et de participation (participation literacy) en tant que culture participative au sein des dispositifs en ligne. Rieder (Rieder, 2010) considère quant à lui que la réalité des communautés en tant que groupe privilégiant un intérêt commun (Gemeinschaft) est en fait fort rare. Rieder montre même que le concept de réseau qualifie de plus en plus une variété de relations de manière indifférenciée que le lien entre individus soit fort ou faible. De la même manière que pour celui de communauté, il conviendrait selon Rieder d’utiliser un autre concept. Il propose celui d’écume pour qualifier ces individualités de masse agissant entre des « membranes numériques » :
« Le web social introduit des nouveaux vecteurs de sociogenèse, des manières sociotechniques de production de liens sociaux. En partant des interfaces proposées par les membranes techniques, nous témoignons actuellement de l’émergence de nouvelles formes de prise de contact et de création de relation dont la médiation passe par la plasticité du substrat numérique. »
Ces nouvelles formes décrites par Rieder témoignent d’une complexité sociotechnique qui permet de prendre en compte l’individu[1] au sein du groupe. Le rappel de l’échelon individuel nous parait pertinent tant notre enquête et nos entretiens démontrent la constitution à la base d’un environnement personnel d’apprentissage et de traitement de l’information dont la mise en place est facilitée par les outils du numérique. Nous utiliserons malgré les mises en garde de Rieder, le concept de réseau et notamment de réseaux au pluriel pour qualifier ces diverses relations autour de centre d’intérêts communs. Nous privilégierons dans ce cadre le concept de « réseaux associés » tel qu’il est développé par Bernard Stiegler.
 
1.2 Des réseaux associés
Ces nouveaux agencements issus notamment du « web social » entrainent de nouvelles potentialités en matière de formation, particulièrement en formation continue et ce de manière informelle, ce que rappellent fort justement Jean Max Noyer et Brigitte Juanals à propos des technologies intellectuelles qui se développent actuellement (Noyer, 2010, p.38):
« Le renouvellement des dispositifs de formation continue et la remise en cause des systèmes de formation figés dans le temps comme dans les contenus. C’est à ces conditions que des dispositifs coopératifs impliquant des agents hybrides, hétérogènes, asynchrones et porteurs de temporalités et de subjectivités très différenciées, peuvent se développer. Ils sont susceptibles de fonctionner de manière performante selon des schèmes ascendants, « rhizomatiques » et favorisant les pratiques auto-organisationnelles. »
En cela, les réseaux de loisirs créatifs peuvent constituer un bon exemple de modèle des réseaux associés que décrit le philosophe Bernard Stiegler qui emprunte le concept à Simondon (Simondon, 1989) :
« Le concept de milieu associé a été forgé par Simondon pour caractériser un milieu technique d’un type très particulier : est appelé « associé » un milieu technique tel que l’objet technique dont il est le milieu « associe » structurellement et fonctionnellement les énergies et les éléments naturels qui composent ce milieu, en sorte que la nature y devient une fonction du système technique. » (Stiegler, 2006, p. 53)
Le milieu associé peut s’étendre dès lors à internet selon Stiegler :
« (…) Il existe de tels milieux techniques et industriels où c’est l’élément humain de la géographie qui est associé au devenir du milieu technique : tel est le cas du réseau internet. Et elle est la raison pour laquelle internet rend possible l’économie participative typique du logiciel libre. Internet est en effet un milieu technique tel que les destinataires sont mis par principe en position de destinateurs. Cette structure participative et en cela dialogique est la raison de son succès foudroyant. » (Stiegler, 2006, p. 53)
Stiegler évoque notamment les communautés du logiciel libre où les usagers peuvent partager et mettre à disposition des programmes qui pourront ensuite être testés et améliorés. Un parallèle a déjà été montré non pas directement avec les communautés des logiciels libres mais entre l’éthique hacker (Auray, 2002) et les réseaux d’usagers du tricot par Rose White lors d’une conférence à Berlin[2].
 
Ces réseaux associés reposent pleinement sur un réseau personnel d’apprentissage qui s’affranchit de la distance, ce qu’exprime parfaitement une participante à notre enquête :
« Comme j’habite dans un tout petit village à 30 kms d’une ville et que je viens de la région parisienne, ça me permet de m’évader du quotidien facilement et surtout d’apprendre pleins de choses. Quant aux blogs et ou les réseaux créatifs, moi qui n’est seulement commencer à tricoter à la main que depuis 1 an et demi, ça m’a permis de progresser énormément. J’avais bien une voisine qui tricote mais pas aussi « calée » que les certaines tricoteuses du web. On se fait des « tricopines » qui partagent le même hobby et on se « refile des tuyaux ». Les vidéos sont drôlement utiles, on peut prendre son tricot et regarder la vidéo, l’arrêter, revenir en arrière tout en faisant en même temps les explications. » (Usager n°165)
La transmission s’opère à la fois par contact direct via les messageries ou sur les forums mais aussi en y trouvant des éléments d’informations sur les blogs et les sites spécialisés. Les ressources pertinentes sont ainsi également partagées.
Références
AURAY, Nicolas. Ethos technicien et information. Simondon reconfiguré par les hackers. In Jacques ROUX. (sous la dir. de). Gilbert Simondon, Une pensée opérative. Publications de l’Université de Saint Etienne, 2002
BARAB, S.A., MAKINSTER, J.G., SCHECKLER, R. (2004). Designing system dualities: Characterizing an online professional development community. In S.A. Barab, R. Kling et J. H. Gray (dir.), Designing forvirtual communities in the service of learning. p. 53-90). Cambridge: Cambridge University Press

CHANIER, T., CARTIER, J. Communauté d’apprentissage et communauté de pratique en ligne : le processus réflexif dans la formation des formateurs. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, 3(3), 2006
RHEINGOLD, Howard. Les communautés virtuelles. Addison-Wesley France, Paris, 1995RIEDER, Bernhard. « De la communauté à l’écume : quels concepts de sociabilité pour le « web social » ? », tic&société, Vol. 4, n° 1, 2010<http://ticetsociete.revues.org/822>
SIMONDON, Gilbert. Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier. 1989
STIEGLER, Bernard et al. Réenchanter le monde : La valeur esprit contre le populisme industriel. Paris : Flammarion, 2006
STIEGLER, Bernard. Prendre soin : Tome 1, De la jeunesse et des générations. Paris, Flammarion, 2008
WENGER, Etienne. Communities of practice : Learning, meaning and identity. Cambridge: Cambridge University Press, 1998
WENGER, Etienne. « Communities of practice and social learning systems. » Organization, 7(2), 225 – 246


[1] Il serait tentant de rappeler que l’échelon individuel concerne autant l’individu humain, que l’objet technique.
[2] Rose WHITE. The History of Guerilla Knitting, session in the 24th Chaos Communication Congress in 29-12-2007

Shell and data : le risque de l’obsession du « tout est donnée »

L’article de Danah Boyd traduit sur internetactu a éclairé quelques une de mes préoccupations du moment. Je dois notamment écrire un article introspectif sur mon blog et je m’interroge sur comment étudier les blogs scientifiques dans la durée du fait de leur évolution et des systèmes d’archivage qui ont tendance à privilégier que des données brutes et peu éditorialisées. Supercomputing
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Boyd note que l’obsession de cumuler des données présente en effet un important problème : celui de les considérer comme étant toutes d’un poids équivalent. Effectivement, les grandes données offrent des perspectives parfois colossales avec le risque de déformations tout aussi conséquentes.
Mais placer les données au centre de l’étude scientifique et même toute stratégie d’organisation de l’information (avec le web de données par exemple) pose un problème épistémologique de taille : l’oubli de la question de la coquille, c’est-à-dire du support mais aussi des techniques utilisées.
Boyd montre qu’il y a un effet à risque à privilégier des approches informatiques au point de tomber dans le travers de Chris Anderson qui considère que les chiffres sont le reflet de la réalité, qu’ils parlent d’eux-mêmes, qu’ils sont automatiquement compréhensibles, et que par conséquent plusieurs sciences- sous entendues sociales et humaines- sont vouées à disparaître.
Clairement, c’est à nouveau l’idéologie du calcul, du ratio, de la société de l’information qui est en train de nous bouffer face au bon usage de la raison. Une nouvelle fois, ce n’est pas l’homme qui crée le cyborg, mais bien l’inverse. Une idéologie du tout calculable tente de nous « cyborguiser » dans la moindre de nos actions et activités. Ce serait quand même fortement inquiétant si cette idéologie devait définitivement emporter les débats en matière scientifique.  Même les humanités numériques (digital humanities) ne semblent pas à l’abri de cette tentation. La position de Milad Doueihi , qui préfère le terme d’humanisme numérique, permet de sortir de l’idée que tout n’est que data.  Humanisme car c’est la robotique qui prend le dessus de manière inattendue. On est pas si loin de l’idée de Hans Moravec de l’uploading, que notre cerveau pour être téléchargé. Un risque que j’ai décrit dans Print Brain technology.
Jean Michel Salaün a donc bien raison de répéter depuis quelques temps que les archivistes ont beaucoup à nous apporter et je crois que cela ne concerne pas que les sciences de l’information. Le support est clairement un élément à ne pas négliger. Etrangement, il semble qu’on oublie totalement la coquille (the shell) qui entoure les data.  Si on devait examiner ce blog et seulement son contenu depuis ces 12 dernières années, on ne pourrait pas clairement percevoir son évolution.  Le site n’a eu de cesse d’avoir des évolutions éditoriales, des mises en forme différentes, des langages et des codes également divers. Pour un archiviste, la reliure, le papier utilisé sont déjà pleinement des documents et des éléments riche en informations notamment en matière d’évaluation. La vision du «  tout data » conduit à négliger l’éditorialité.
Peut-on imaginer traiter des archives des siècles précédents avec seulement les retranscriptions sous un traitement de texte ? Insipide n’est-ce pas ? On se retrouve dans une division assez proche de la dichotomie corps et esprit.  On a à nouveau l’impression que la matérialité est négligeable, en tout cas pas noble, pas digne d’intérêt. Pourtant, Yves Jeanneret nous avait déjà alertés sur ce risque  dans son fameux « Y-a-t-il vraiment des nouvelles technologies de l’information ».  Le document a toujours partie liée avec des supports et des formes éditoriales, des architextes et il lui faut un interprète comme révélateur d’une relation sociale. Négliger, la coquille, c’est sans doute aussi négliger l’esprit.
Du data à la cata, il n’y a qu’un pas.
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Le TOP des articles en Sciences de l’information. (Ma sélection de septembre)

Il m’avait semblé qu’il fallait tenter de faire une sélection mensuelle des articles à lire. C’est pas de la curation dont on a cure du concept, mais d’un retour sur veille ce qui permet une prise de distance. Je proposerai donc tous les mois une sélection des billets et articles que j’aurais jugés dignes du best of. Je ne doute pas un seul instant que vous ne manquerez pas de me signaler des oublis en commentaires. Le but pour moi est d’en proposer maximum une dizaine. La sélection est opérée avec Diigo où j’ai crée une liste spéciale « bestofSI ».

Je ne propose pas non plus de les classer, je les fais donc figurer par ordre chronologique avec éventuellement quelques commentaires et des tags. Bonnes lectures à rattraper…

Flickr/CC karindazil
  • Excellente réflexion sur l’utilisation des notes et des marges pour annoter ses lectures et les potentialités de les organiser sous forme d’index avec certaines applications. C’est aussi rappeler l’importance de la littératie, cette « scienca litteratura » ou ingénierie de la lecture « Le fait de maîtriser l’écrit pour pouvoir penser, communiquer, acquérir de nouvelles connaissances, résoudre des problèmes, réfléchir sur notre existence, partager notre culture ou se distraire est ce qui définit le type et le niveau de littératie atteint par des individus que l’on dira lettrés – litterati – au sens où l’entendait Cicéron qui posait la littératie – scientia litteratura – à la fois comme le fondement de la sagesse et de l’éloquence (…).  » L’occasion de rappeler qu’on apprend peu ou rarement à annoter des ouvrages. Finalement, l’arrivée d’outils dédiés va peut-être redonner de l’intérêt pour former à ses méthodes d’appropriation de l’œuvre et du texte. C’est aussi outre la notion de parcours, de pérégrinations évoquées, la possibilité de se placer dans le texte, de poser des balises comme autant de marques-pages ou marques-mailles au sein des enchevêtrements du texte. L’ichnologue en tentant de remonter les traces finit par devenir arachnée, en tissant lui aussi de nouveaux parcours infinis. Dès lors, les sentiers peuvent continuer à bifurquer

    tags: lecture annotation

  • Retour sur les dispositifs mémoriaux sur le web…

  • tags: archive mémoire

  • Retour sur la mort d’un pionnier et d’un mythe de l’accès facilité à la connaissance. Un personnage dont on ne mesure pas encore tout à fait l’importance de celui qui aura donné du « coeur à l’ouvrage »

    tags: projet_Gutenberg

  • tags: lecture

  • Infographie efficace sur les géants du web, les forces en présence et leurs luttes.

    tags: histoire_du_web

  • tags: indexation

  • « La France, qui ne connaît pas de fair use, a prévu des “exceptions à des fins d’enseignement et de recherche”, ainsi que pour les bibliothèques dans la loi DADVSI de 2006. Soumises à des accords sectoriels avec les ayant-droits, ces exceptions représentent aujourd’hui le dispositif le plus tarabiscoté que l’on puisse connaître [3] ; tous le disent : il est inutilisable pour les enseignants et les chercheurs. » Clairement, désormais on n’y comprend plus rien et les enseignants n’ont pas envie de perdre en potentialités surtout avec le numérique. Une nouvelle fois, le risque de décalage entre les pratiques et le droit ne font que s’accroître. Il faut aussi bien comprendre que ce sont en fait de véritables droits de péages qui sont en train de se mettre en place. Les nouveaux fours à bans et autres prérogatives de nouvelles classes possédantes. Dans tous les cas, ces réactions propriétaires extrémistes ne peuvent que susciter rancunes et révoltes potentielles.

    tags: ProprieteIntellectuelle

  • Il faut sans doute former aussi de nouveaux milieux associés qui mêlent réseaux présentiels et réseaux en ligne. Clairement, la notion d’autonomie n’a effectivement pas grand sens tant qu’elle n’est pas précisée. L’autonomie n’est jamais totale mais relative, il faut donc plutôt plaider pour une formation visant une progression. La médiation numérique vise donc à laisser des libertés d’action et de manœuvre et doit offrir des moyens de progresser dans ses démarches. On est davantage dans de l’autoformation sociale, c’est à dire de la formation en fait accompagnée mais débarrassée des lourdeurs ‘disciplinaires » de L’Ecole.

    tags: médiation_numérique

  • tags: réseaux_sociaux science2.0

  • Encore une lecture indispensable très complète et pleine de références intéressantes et pertinentes. Indispensable pour faire le point et amorcer une réflexion sur les lectures numériques.

  • Il est intéressant de montrer en effet qu’il s’agit de ne pas rester dans les mêmes cercles et donc d’élargir ses perspectives  « Or, le capital social d’un individu sera d’autant plus fort qu’il nourrira des liens faibles [Granovetter, 1970]. En effet, en ne prenant soin que de ses liens forts, c’est-à-dire de la forte proximité affective qui le lie à un autre individu, il risque bien de ne jamais sortir d’un cercle extrêmement restreint dont il ne pourra alors tirer que des effets réduits (pour obtenir une information, par exemple) » A noter également la référence au numéro d’Hermès sur les réseaux sociaux numériques et le rapprochement effectué par Alexandre Coutant sur les techniques de soi.

    tags: lecture réseaux_sociaux

    • Dernier billet, autant pour le contenu que pour l’anecdote. En effet, @affordanceinfo est en train d’abandonner les bandeaux jaunes pour les bleus, c’est la grande info à retenir du mois ! Toutefois cette manifestation (inconsciente) de soutien à l’équipe de France de rugby n’a pas évité à cette dernière de se prendre une tong!

      tags: veille

      Je signale également le beau portrait avec une très belle photo de françois Bon dans les Inrocks de cette semaine. Un évènement qui n’est pas anodin

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    Moteur en quête d’auteurs : google sort l’argument d’autorité

    Cela fait plusieurs mois que j’ai cette intuition mais je n’avais pas encore eu le temps de la formuler d’autant que j’escompte bien en faire un des travaux de recherche de cette année. Oliver Roumieux de l’Adbs m’avait incité à produire un billet. L’actualité m’oblige à le faire.  On n’est pas encore au niveau de Print Brain technology mais on se situe sur des territoires bien connus des professionnels de l’information.
     
    La doxa a tendance à présenter Google + comme un concurrent potentiel de Facebook, un aspirateur aux usagers adeptes du réseau de Zuckerberg. D’une part, il n’en est rien du fait que la tendance est celle de l’éparpillement des profils avec réinjection de flux si besoin. Les usagers font alors le choix d’être présents un peu partout et repoussent le choix de cibler davantage un réseau qu’un autre.  Cette dispersion finit par être épuisante et pénible à terme. Google l’a compris et vise donc quelque chose de plus sérieux. Google + c’est le principe de Diaspora dans le sens inverse : on vise la concentration.
    Dans cette querelle du choix des réseaux sociaux, Google va régler le problème en le déplaçant.
    Pour rappel, il est très difficile de suicider son compte sans désagréments.  C’est le cas chez Google : l’appartenance à son réseau social est définitive. Si vous souhaitez en sortir, vous réalisez alors un hara-kiri numérico-identitaire qui peut être tragique si vous êtes un vieil utilisateur des services google et notamment de sa messagerie. D’où les risques qu’il y a à utiliser un pseudo sous peine de fermeture de compte.
    On l’aura compris, c’est une stratégie de captation efficiente : le temps investi et les données contenues sur ces services sont telles qu’il faut vraiment bien programmer son éventuel départ. C’est en effet toujours possible de cesser de dépendre au niveau de l’identité numérique de Google. Soit. Mais vous avez sans doute remarqué que vous pouvez quand même « cercler » des amis qui ne sont pas encore présents sur Google +… Une nouvelle fois, on n’échappe pas totalement à Google.
    Seulement, l’objectif de Google et de son avancée Google + n’est pas celle de constituer un énième réseau social, c’est bien mieux que cela. Il s’agit clairement d’une stratégie de développement de l’application première : le moteur de recherche. Un moteur dont le leadership permet à la société américaine de générer 95% de ses revenus via la publicité. Si bien que chaque nouvelle application doit s’inscrire dans cette orientation de rentabilité. Et google + est clairement dans ce cadre.
    Alors en quoi Google + va aider le moteur de recherche ?
    Et bien Google + va permettre de mieux identifier les auteurs de contenus sur le web et d’associer finement une ressource web à un profil Google +. Il est même fort probable qu’une URI identifiée par un profil auteur lui aussi bien mis en valeur…sera mieux classée dans le page rank. De là à dire que google va réussir à produire le web de données… il n’y a qu’un pas.
    Au niveau documentaire, Google + est en train de créer des «  listes d’autorités » ! Et ces listes d’autorités vont se décliner avec l’indexation par les cercles thématique. Indexation que nous produisons nous-mêmes en créant des listes thématiques. Les folksonomies n’ont donc pas disparu réellement, Google les décline en cerclonomie.  On retrouvera la stratégie du like, impulsée par Facebook au sein du réseau… ce qui produira un indice de popularité sociale qui sera aussi inclus à terme dans l’algorithme.
    Si bien que le moteur va de plus en plus produire des résultats avec des références d’auteurs et obliger les webmasters à inscrire dans les métadonnées de leur site, la liaison avec leur profil Google +. Cela fait déjà quelques semaines que cette éventualité est possible. Elle va devenir obligatoire pour un bon référencement. Souvenons-nous de l’obligation faite par Google + que les profils comportent des vrais noms et pas des pseudos ! On notera au passage que c’est le retour progressif de la prise en charge des métadonnées dans le référencement. Cependant, on avance prudemment avec des métadonnées fiables avec celles de l’auteur dont on a établi l’identité. Le profil Google+ deviendra alors un pôle de gestion de son identité numérique avec les services attachés et externes. Ce sera celui qui sera visible depuis le moteur de recherche.  Facebook demeurera alors qu’un sous-espace, une fête au village qui sera moins lucrative que le pôle des identités de Google.
    Cela marque bien une volonté d’identification claire de la ressource. Cela pose évidemment tout un tas de question au niveau des potentialités d’anonymat. Mais si vous voulez être bien vu par le moteur… il faudra accepter l’encerclerment : rendez-vous, vous êtes cerné !
    Pour rappel, le moteur comme beaucoup d’application a eu tendance à confondre autorité et popularité, en attribuant un indice d’autorité à ce qui relève clairement de la popularité via le page rank.  Il faut rappeler que l’analyse des citations sur lequel repose le moteur emprunte beaucoup à la bibliométrie et à la scientométrie, sauf qu’en ce qui concerne les domaines scientifiques, la production de documents est quand même soumise à des processus d’évaluations.
    Il semble désormais que Google cherche à mieux saisir cette question de l’autorité tout en conservant ses stratégies de popularité et d’indices de citations basés sur la scientométrie. Simplement, le déplacement ou la continuité plutôt s’opère : désormais le page rank ne concerne pas seulement les sites web mais bel et bien les auteurs. Voilà qui va donner de fil à retordre aux référenceurs car désormais le référencement aura partie liée avec la gestion de l’identité numérique.  Car il est probable désormais que l’identification d’un spécialiste d’un domaine particulier va lui conférer une importance plus grande aux yeux du moteur en ce qui concerne la valorisation de sa production. C’était justement le gros point faible du moteur jusqu’à maintenant.
    Cette tendance qui vise à mesurer l’influence et la notoriété d’une personne se développe avec les indices d’influence comme Klout. Mais on reste encore dans des mécanismes de popularité en mesurant le nombre de followers sur twitter, le nombre de retweet, etc.  Google cherche davantage à affiner et à savoir qui est vraiment l’auteur et son degré de compétence.  D’où l’intérêt premier d’avoir dans un premier temps, une liste d’initiés et de spécialistes. Google va aussi chercher à utiliser ses données pour personnaliser les requêtes et les affiner de plus en plus avec les résultats de production des personnes avec qui nous sommes liées sur Google +.  On a donc récupérer notre travail d’évaluation relationnelle pour affiner les résultats de nos requêtes. Cette stratégie a déjà commencé depuis quelques mois avec l’affichage de données signalées par nos amis sur Google Reader.
    Google cherche donc à attribuer un identifiant unique via son profil Google +.  Cette stratégie s’opère également au niveau des chercheurs avec Google Scholar. Les projets d’identifiants uniques sur lesquels travaillent plusieurs éditeurs dont thomson risquent de se voir opposer un concurrent bien plus efficace : Google.
    Google après avoir conquis le domaine de la popularité cherche à mettre la main sur l’autorité.  Il est donc probable de voir à terme de nouvelles métadonnées prises en compte. Maiss Google a d’abord misé sur la plus importante : l’auteur. En effet, elle représente souvent le premier indice d’importance en matière d’évaluation de l’information. La redocumentarisation de nos identités prend alors tout son sens.
    On pourrait donc voir l’entreprise américaine jouer de plus en plus un rôle prégnant en matière de gestion de la production de l’IST et en matière d’employabilité… ce qui signifie à terme un contrôle sur l’économie.
    J’arrête les projections possibles à termes notamment l’accroissement des capacités prédictives du moteur qui pour l’instant connait surtout le passé de nos actions….
    Une nouvelle fois « être ou ne pas être sur Google » devient l’aporie philosophique actuelle.  On ne sait trop quelle histoire est en train d’écrire Google, ce qui est certain c’est que l’entreprise ne se contentera pas de faire de nous des personnages mais bel et bien des auteurs.
    Dans tous les cas, voilà qui confirme ce que j’avançais en début d’année : on va avoir de plus en plus besoin de lecteurs de crâne de licorne

    Les jeunes générations et la technique

    (suite des billets précédents (1) et (2) et extrait de l’article (2010) « La skholé face aux négligences : former les jeunes générations à l’attention », Communication & Langages n°163, mars 2010, p.47-61)

    Nous avons remarqué comme beaucoup de collègues enseignants la forte attirance des jeunes publics pour les moyens de communication récents que sont les blogs et la messagerie instantanée sur web, le portable, les baladeurs mp3, etc. Cependant attrait ne signifie pas pour autant maîtrise. Et nous songeons ici, non seulement à la maîtrise technique en tant que computer literacy, mais également au traitement de l’information en tant qu’information literacy.
    Les adolescents surestiment fréquemment leur maîtrise de l’Internet notamment du fait que l’entremise du moteur de recherche leur garantit des résultats même s’ils ne sont pas pertinents. Il n’y a pas de compréhension du fonctionnement des réseaux  ainsi que des outils de recherche.
    Les usages des jeunes générations évoluent et notamment les détournements de la technique pour des utilisations non prévues initialement[1]. C’est notamment le cas avec le wifi qui permet à des étudiants équipés de portables de surfer durant le cours au lieu d’être attentif aux propos de l’enseignant. Plus rare est la pratique parfois nommée « sandbag [2]», qui consiste à corriger l’enseignant, et donc à contester son autorité au travers de sa légitimité, en vérifiant au fur et à mesure sur Internet ses affirmations. Les jeunes générations utilisent les objets numériques de manière ludique ou pour des communications de type phatique. Dany Hamon[3]note que cette relation aux objets techniques accentue vraisemblablement le manque d’enthousiasme pour l’apprentissage :
    « Une nouvelle génération de collégiens semble particulièrement marquée par une démobilisation envers les apprentissages scolaires. Ne serait-elle pas l’expression profonde d’un clivage entre ce que les élèves perçoivent de la culture scolaire et leur participation à l’émergence de nouveaux modèles socio-culturels, visibles notamment à travers leurs pratiques numériques ? »
    L’expression de démobilisation est éclairante dans le sens où elle exprime le fait que les élèves se mobilisent ailleurs, sur d’autres lieux qu’ils jugent plus intéressants. Finalement la culture scolaire, c’est-à-dire au sens étymologique la culture de l’attention, se trouve concurrencée par d’autres cultures, issues de leurs pratiques numériques. Comme le montre Danah Boyd[4], ces pratiques ne sont pas à rejeter dans leur intégralité et elles peuvent constituer ainsi des pistes d’apprentissage. Les élèves se plaignent souvent de cette impression de décalage voire de séparation et de la difficulté d’investir ce qui est appris à l’Ecole dans leur sphère domestique et vice versa, ce que démontrent particulièrement les travaux de Cédric Fluckiger[5].

    1 Besoin d’affirmation et sociabilité juvénile.

    Les jeunes générations ne conçoivent pas les objets techniques dans une perspective pédagogique ou d’acquisition d’informations et de connaissances. Ce n’est en aucun cas, l’objectif premier de l’usage des blogs, des réseaux sociaux, des messageries instantanées ou du portable. Il s’agit d’une nécessité de s’intégrer et de montrer à la fois sa présence et son apport individuel au sein d’un collectif. Pour autant, il ne s’agit pas d’intelligence collective ou collaborative, mais davantage de sociabilité juvénile. Les adolescents cherchent à se distinguer également de la culture parentale ainsi que de la culture scolaire, dans une démarche essentielle à la construction du jeune adulte. Pour autant, nous ne pouvons adhérer à une vision qui fait du jeune, un individu auto-formé par l’entremise des objets techniques. Il ne faut donc pas confondre les différents besoins des jeunes générations. Les études sociologiques relèvent donc principalement le besoin d’affirmation qui repose notamment sur l’exhibition de son capital relationnel[6], et de son affiliation au groupe[7], partie intégrante de la définition de soi adolescente..
    Il faut donc ne pas oublier les autres besoins et notamment les besoins d’information qui sont tout autant des besoins de formation.
    Le besoin d’information n’est pas toujours conscient chez les jeunes générations. Deux universitaires hollandais[8]constatent d’ailleurs que la surinformation ne préoccupe pas les jeunes générations. L’intérêt de séparer le bon grain de l’ivraie n’est pas perçu, tandis que la capacité à repérer l’information pertinente s’avère souvent difficile car elle suppose fréquemment des connaissances au préalable. Finalement ce n’est pas tant le besoin d’information qui devient préoccupant mais son absence. La conscience d’un besoin d’information n’est pas automatique et nécessite une prise de conscience.
    Pour autant, cette distinction entre besoins d’information et besoins d’affirmation est rarement effectuée et l’opposition entre pratiques adolescentes et pratiques scolaires aboutit fréquemment à une remise en cause de l’institution, jugée comme désuète. Pourtant les usages sont parfois éphémères et vouloir adapter la formation à ces derniers ne s’inscrit pas dans une démarche de culture de l’information.

    2 Quand usage ne signifie pas culture.

    Il est fréquent de remarquer que sont associées aux jeunes générations des expressions qui expriment leur intérêt pour les objets techniques : natifs du numérique, génération Google, génération Internet, etc. Cependant, faut-il parler de pratiques, d’usages voire de culture numérique adolescente ? Les trois expressions sont parfois difficiles à distinguer. La pratique recouvre généralement davantage la finalité, tandis que l’usage se réfère au comment, à la manière de. Les usages concernent plutôt les outils, les pratiques se réfèrent davantage à l’acte. Pour autant la dichotomie parait trop stricte avec les objets numériques. Les pratiques deviennent ainsi difficiles à observer selon Jean-François Marchandise, directeur du développement de la FING (Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération) qui plaide pour une observation des changements ordinaires pour sortir des visions révolutionnaires positives ou négatives. Il note ainsi la difficulté de distinction entre usages et pratiques :
    « On parle souvent d’usages à propos des outils (le stylo, le téléphone) et de pratiques à propos de nos pratiques sociales (écrire une lettre d’amour, appeler un ami), mais les dispositifs numériques rendent de plus en plus souvent cette distinction malaisée, certaines pratiques s’identifiant dans un premier temps aux outils et aux plateformes techniques qui en sont les vecteurs (je blogue).[9] »
    La difficulté est encore plus grande en ce qui concerne les jeunes publics. Pouvons-nous parler de pratiques culturelles pour qualifier le fait que de nombreux adolescents tiennent des blogs, type skyblogs ? L’activité de bloguer représentant à la fois un usage d’un outil et une pratique d’écriture. Pour autant, ces activités ne sont pas synonymes de culture informationnelle et encore moins de culture de l’information. Cette dernière suppose une démarche plus ambitieuse qui repose sur courage d’exercer notre entendement pour accéder à la majorité comme le préconise Kant. La skholé peut alors se réaliser par une relation qui diffère du simple usage vis-à-vis des objets techniques et qui constitue à la fois une majorité intellectuelle et une majorité technique.


    [1] PERRIAULT, J. (1992). La logique de l’usage. Paris, Flammarion.
    [2] Le terme de sandbag est à comprendre dans le sens de malmener quelqu’un, mais il possède également la signification que l’on trouve au poker et dans les jeux- video et qui indique une stratégie pour cacher son jeu.
    [3] HAMON, D. (2008). « Une nouvelle génération face aux apprentissages scolaires. L’usage d’Internet pour créer du lien » in Actes du colloque « Ce que l’école fait aux individus » p.1
    [4] BOYD, D. (2008). «Why Youth (Heart) Social Network Sites: The Role of Networked Publics in Teenage Social Life.» In David Buckingham (Ed.), Youth, Identity, and Digital Media (pp. 119-142). Cambridge: MIT Press.
    [5] FLUCKIGER, C. (2007). L’appropriation des TIC par les collégiens dans les sphères familières et scolaires. Thèse de doctorat. ENS Cachan , 29 octobre 2007 <http://www.stef.ens-cachan.fr/docs/fluckiger_these_2007.pdf>
    [6] METTON, C. (2004). « Les usages de l‘Internet par les collégiens : explorer les mondes sociaux depuis le domicile » in Réseaux, vol. 22, n°123
    [7] SINGLY, F de. (2003). Les uns avec les autres : quand l’individualisme crée du lien, Paris, A. Colin
    [8] VEEN, W., VRAKKING.B (2006).  Homo Zappiens : growing up in a digital age London: Network Continuum Education
    [9] MARCHANDISE, J.F. Observer les changements ordinaires in InternetActu.net. Article du 27 octobre 2007 <http://www.internetactu.net/2007/10/01/observer-les-changements-ordinaires/>