Le b2I est-il un symptôme ou un remède, potion ou poison. J’ai été un de ceux qui ont cru à l’initiative de départ mais je dois désormais continuer à l’affirmer, la potion s’avère empoisonnée et ne constitue pas un remède mais bel et bien un symptôme du système éducatif français.
J’en tiens pour preuve le nombre croissant de jeunes visiteurs qui arrivent sur mon site en ayant tapé la requête « tricher au B2I’. Or ce simple fait est le constat de l’échec total du projet qui devait normalement entraîner une validation se voulant progressive et nullement ancrée dans des stratégies d’évaluation de contrôle. Or il semble clair que nous ne savons pas le faire. Tout comme les autres dispositifs tels le socle commun, l’Education Nationale ne parvient qu’à les mettre en place qu’à la marge. D’ailleurs mes collégiens de quatrième n’ont entendu parler du socle commun que la semaine dernière. Demeure sans cesse l’obsession de la note, qui n’est d’ailleurs qu’une évaluation à court terme, sans aucune ambition et ne parvenant qu’à conforter des carcans disciplinaires de plus en plus inefficaces. L’apprentissage des langues en étant souvent le révélateur le plus flagrant d’un système absurde et inefficace. Les élèves n’apprennent que pour le notation ou la sanction : c’est insuffisant. L’envie d’apprendre, de progresser est sans cesse mise à mal et la motivation n’y est plus autant chez les élèves que les enseignants. Alors pourquoi continuer ainsi ? Simplement parce qu’on craint que ce soit pire encore ? Ill faut bien dire que cet argument terrible ne plaide pas en faveur d’une réelle réforme de l’éducation qui demeure cloisonnée aux dogmatismes et aux seuls arguments économiques. FInalement l’éducation en reste à la vision à court terme de la note et ne parvient pas à voir plus loin dans une optique d’apprentissage tout au long de la vie.
Il faut considérer l’éducation comme un milieu d’innovations, de tentatives pour faire progresser chacun dans une stratégie d’individualisation et d’individuation au sein du collectif. Ce qui doit demeurer permanent, c’est la confiance mutuelle. Or c’est souvent ce seul point qui est remis en cause. Il faut donc reconstruire la confiance, la prise de soin. L’évaluation doit demeurer dans une logique de mise en valeur.
Il faut donc sortir de la logique actuelle et de la logique de validation stressante du B2I qui transforme certains enseignants dont je fais partie en machine à valider des items. Pour cela il faut développer à la fois une vraie culture technique et informatique ainsi qu’une culture de l’information. Cela passe par une réforme des méthodes pédagogiques et notamment de l’évaluation en mettant en avant l’individualisation des parcours autour de portfolios et de plateforme d’enseignements en ligne, qui peuvent constituer une prolongation de présentiel à exploiter. Cela passe aussi par une réforme des programmes et un new deal disciplinaire. Sinon nous demeurons dans une logique soit administrative, soit sans cesse à la marge.
Il est temps de s’y mettre mais seule une volonté politique basée sur la confiance mutuelle peut y parvenir. Reste à savoir qui peut être ce ministre de l’Education qui saura nous faire rentrer dans un cercle vertueux.
Étiquette : élève
Le mystère Vannevar
Vannevar Bush est un des plus célèbres savants du siècle dernier. Son influence est reconnue dans de nombreuses disciplines et son célèbre texte « as me may think » est fréquemment cité comme une des préfigurations de l’Internet dans sa vision hypertextuelle.
Vannevar Bush intéresse également les chercheurs en information literacy et en culture de l’information. Je songe notamment aux travaux de Sheila Webber et de Bill Johnston qui tentaient de voir dans l’article de Bush les prémisses de ce qui pourrait constituer une discipline de l’information literacy [1].
Seulement voilà à l’heure où je parlais du matin des infomanciens de manière un peu ironique ce qui a un peu dérangé Peter Norrington, le webmaster du blog infomancy car il n’a rien à voir avec les théries conspirationnistes et qu ‘il demeure dans un travail proche en fait de l’information literacy, il faut bien se poser la question du mystère Vannevar. J’ai donc demandé à une de mes élèves de trouver le lien entre l’affaire Roswell et notre illustre savant.
Elle a trouvé rapidement que le nom du savant est souvent attaché au comité secret du majestic 12, chargé entre autres de garder le secret autour de l’affaire et de tirer un maximum de renseignements technologique dans la supposée rencontre du troisième et quatrième type.
Je viens récemment de finir un article sur le mythe du complot et je m’interroge finalement sur la pertinence de tenter d’établir les bases de l’information literacy à partir du texte de Bush. On peut certes tenter d’isoler le texte du savant en une sorte de positivité foucaldienne et souligner qu’il a été écrit avant 1947 (date de l’accident de Roswell) et que donc il est nécessaire de ne pas trop s’attarder de fait sur la figure de l’auteur.
Je pense que l’argument foucaldien est pertinent seulement voilà. La rigueur scientifique n’est pas l’apanage de théories conspirationnistes, et il sera aisé pour les tenants de ce genre de théorie de faire de l’information literacy une discipline idéologiquement marqué par le complot.
Finalement ,ce mystère ne peut que susciter le doute. Le choix de la rigueur nous poussera à faire des choix et donc à faire con-fiance en les travaux et autres énoncés de Vannevar tout en continuant à s’interroger de manière critique (voire Mé_fiante) et empreinte de doute sur cette affaire Roswell. Un choix méthodique, réfléchi et complexe. A l’inverse, les habiletés informationnelles prisées par les conspirationnistes feront le choix paranoïaque de passer de la mé-fiance à la dé-fiance.
[1] Johnston, B., & Webber, S. (2005). As we may think: Information literacy as a discipline for the information age. Research Strategies.
Digital natives, objet technique et B2I
Je réagis au billet de francis pisani sur la génération « Google » dont j’ai déjà parlé il y a peu de temps. Il s’avère que de plus en plus les analyses contredisent la vision « digital natives » de Prensky et montrent que la réalité est bien plus complexe voire beaucoup plus préoccupante.
Je remarque également comme beaucoup d’autres collègues l’ignorance des adolescents en ce qui concerne l’objet technique « ordinateur » à la fois au niveau software et hardware. Il en est de même pour la connaissance un peu plus poussée des notions de base de navigation qui devraient être acquises dans le cadre du B2I. Or, dans la tête de mes élèves, c’est le mélange total entre moteurs, navigateurs, google, internet explorer et je ne parle même pas des notions un peu plus précises. Evidemment, la plupart des enseignants ne sont guère plus au fait des différences. Moi ce qui me dérange, c’est qu’il y a confusion entre cette attraction, qui est principalement due à l’impression de facilité : à une logique de bouton poussoir quasi « pavlovienne » et une réelle maîtrise. Dès lors, j’ai tendance à partager l’avis d’EPFL (et non de Florence Meichel comme je l’avais écrit initialement en me trompant mais que l’intéressée m’a signalé. voir commentaires) qui commente l’article de Francis Pisani en remarquant qu’au final, la génération la plus à l’aise ne se trouve pas être la jeune génération actuelle mais en fait plutôt celles des trentenaires plus souvent confrontée à l’envers du décor, c’est à dire au code :
« Je crois en fait que la génération des trentenaires est un peu particulière du point de vue du rapport à l’outil informatique. Nous y avons été familiarisé avec des machines plutôt primitives, et pour en tirer parti il fallait vraiment ne pas hésiter à “rentrer dedans”. Je me souviens qu’adolescents, nous devions souvent programmer nous-mêmes nos propres jeux (élémentaires bien sûr, genre pong). D’ailleurs, les revues de micro (type S&V micro, crois-je me souvenir), proposait des lignes de code à reprendre. Aujourd’hui, les ado n’ont évidemment plus ce genre d’effort à fournir. C’est autant d’apprentissage approfondi en moins. De plus, les machines de l’époque étaient beaucoup plus “ouvertes”, et on pouvait sans problème les bricoler, au moins au niveau software. Aujourd’hui, ce sont de véritables “boîtes noires” (toujours surtout au niveau software). Allez essayer de comprendre Vista, a fortiori de le modifier! De ce point de vue, les ordinateurs ont suivi l’évolution de la plupart des objets techniques : ils se sont “refermés” en se complexifiant. Un peu comme les voitures, que n’importe qui pouvait (et devait) bricoler au début du siècle, tandis qu’aujourd’hui il est impossible d’y mettre la main, tant elles sont bourrées d’électronique et d’éléments de haute technologie. »
Pour reprendre ici la logique de Simondon à la sauce Stiegler, la constitution de milieux associés avec les TICE n’est donc pas évidente d’autant qu’en temps passé devant l’ordinateur, l’usage ludique de nos adolescents prime sur l’usage pédagogique sans compter que l’innovation est peu fréquente si on songe au mimétisme « débilisant » des skyblogs. De plus, les choix éducatifs ne font qu’accroitre cet état de fait. En clair, le B2I ne parvient pas développer une véritable culture informatique, pire il ne fait que dissimuler la vérité avec des validations au final faites à la va vite basées sur une découpe de compétences sans réelle signification tant la culture informatique et la culture de l’information sont plus complexes. Je continuerai cette année à valider des items malgré tout, mais avec la conviction que tout cela n’est désormais qu’une mystification. L’objet B2i dans sa volonté transdisciplinaire n’était pourtant pas si mauvais à sa création, mais force est de constater qu’il ne remplit pas sa mission et qu’il ne fait que dégrader au final les moyens de mettre en place les conditions de transmission d’une culture informationnelle et informatique. Le B2I ne demeure qu’au triste stade d’objet administratif et nullement pédagogique et il en sera sans doute de même du socle commun car ces dispositifs demeurent insuffisants. L’enseignement doit donc se réformer…vraiment et cesser d’accumuler les heures de cours en faisant croire qu’il y a chaque fois assimilation. Je crois que les nouvelles technologies et notamment les plateformes d’e-learning peuvent constituer d’excellents moyens pour rendre plus efficaces les cours en présentiel et en prolongement de présentiel en permettant une pédagogie différenciée et une individualisation des parcours mais j’y reviendrai sans doute sur ce blog. Le but serait que l’usage pédagogique soit supérieur sur tous les plans à l’usage domestique à la fois en temps passé et en complexité d’usage…au moins dans un premier temps.
Le chantier s’annonce vaste tant les enjeux sont importants et surtout parce que nous sommes très loin du consensus éducatif.
Métamorphose de l’éducation : allons-nous devenir des individus purs ?
Dans la lignée de ma réaction anti « éducation 2.0 » au niveau conceptuel, je pense qu’il faut faire attention à ne pas être dans une mutation permanente. Il faut donc envisager des éléments stables avec des éléments évolutifs et non pas adaptationnistes voire quasi darwinistes. Je m’inscris donc encore une fois contre le concept d’éducation 2.0 ou bien encore contre celui d‘apprentinuité proposé par la dynamique Florence Meichel qui cherche à fédérer toutes les bonnes volontés pour tirer profit au maximum des nouvelles technologies pour améliorer les performances éducatives. Je vous invite d’ailleurs à participer au réseau qui regroupe plusieurs usagers actifs dans le domaine et sur lequel vous trouverez liens et réflexions pertinentes. Même si nous ne sommes pas tous d’accord, la discussion reste courtoise, ce qui peut faire progresser le débat. Je vous invite également à lire la réflexion de Mario Asselin sur le sujet.
Je ne peux souscrire donc aux notions d’apprentinuité, ni de méta-élève pour la simple raison que cela entraine non pas une métastabilité telle que la voit Simondon mais une déstabilisation permanente. Une nouvelle fois, il s’agit d’être proactif comme le propose le finlandais Teemu Arina et pas seulement réactif. Je comprends malgré tout la volonté de prôner un enseignement qui ne soit pas en décalage, mais je rejoints Teemu sur la nécessité d’échapper à l’âge de la vitesse.
Dès lors, l’éducation demeure l’éducation et les apprenants demeure des apprenants et non des apprentinuants, barbarisme linguistique avec lequel j’ai beaucoup de mal puisqu’il s’agit d’un pléonasme, apprenant comportant déjà cette permanence d’apprentissage. Il ne s’agit donc pas de déstabiliser un peu plus des concepts et des institutions déjà en grande difficulté mais de permettre la transindividualisation notamment des élèves voire des enseignants grâce aux nouvelles technologies devenues hypomnemata des milieux éducatifs associés. Il s’agit d’adopter plutôt que de s’adapter.
Je pense pourtant que Florence partage les mêmes objectifs que moi, mais il faut être prudent et surtout efficace. L’institution scolaire doit se transformer et progresser à la fois dans une individualisation psychique et collective mais également afin que l’élève puisse se ré-approprier les moyens d’accès au savoir face aux tentatives de court-circuitage entropique des industries de service. (cf Stiegler)
Or, il faut être clairvoyant car les outils du web 2.0 peuvent également constituer des techniques dissociatives qui peuvent encore plus priver les usagers notamment de leur anonymat. Je songe ici au phénomène de l’Arcadie, prolongement du web 2.0, qui nous enferme dans un panoptique foucaldien permanent où nous sommes autant que voyeurs qu’observés. Je renvoie ici à mes articles sur urfist info et sur le site spokéo.
Par conséquent pour créer ces milieux associés, il faut prendre en compte la technique et notamment la culture technique qui implique que nous devenions majeurs au sens de Simondon et pas seulement mineur, c’est à dire qu’il nous faut comprendre le fonctionnement et la philosophie de ces outils qui n’ont probablement pas encore atteints leur concrétisation ultime.
Je rejoints néanmoins Florence sur le fait que nous non plus, apprenants et enseignants n’avons sans doute pas encore complèté notre transindividuation, mais il ne s’agit nullement d’augmenter l’entropie informationnelle et bien au contraire de construire la néguentropie des savoirs. Cela implique de l’association mais aussi de la distinction.
Par conséquent, ce n’est pas les concepts qu’il faut faire évoluer mais bel et bien le système. Il nous faut ainsi devenir des individus purs au sens de Simondon « médiateur entre la communauté et l’objet caché ou inaccessible »
Didactique 2.0 : la pédagogie documentaire en action.
Je viens de lancer il y a une semaine un projet avec un groupe de troisièmes pas spécialement motivés initialement.
Il s’agit de les former à la culture de l’information et de la communication à partir d’un blog : historiae : les troisièmes mènent l’enquête.
Il s’agit aussi d’un pari car j’espère que les élèves se montreront capables de produire du contenu. Il conviendra néanmoins d’être modeste car les thèmes donnés sont volontairement complexes.
Je reproduis ici l’à Propos qui définit les objectifs :
Bienvenue sur le blog expérimental des troisièmes du collège de Ceaucé-Passais. (orne 61)
12 élèves sont chargés de mener l’enquête sur des mystères ou des questions historiques. Le but est de reproduire l’état de doute perpétuel qui existe face à l’information avec des thématiques où tous types de ressources existent sur Internet. Le travail d’évaluation de l’information est par conséquent primordial. Les élèves bénéficieront d’aides notamment sous la forme de cartes heuristiques (mind-mapping) qui les guideront dans leur méthodologie de recherche. Le but n’est pas de s’inscrire dans une démarche procédurale mais de culture de l’information et de la communication. Par conséquent le choix a été fait d’associer le travail de recherche d’informations à sa communication au sens le plus large.
Le travail s’effectue dans la cadre d’un projet sous la direction des enseignants-documentalistes Olivier Le Deuff et Yves Ghis.
J’ai volontairement intégré au blog un cours en ligne qui se trouve dans une rubrique méthodologie, ce qui permet aux élèves de s’y référer facilement. Ce cours peut-être facilement intégrer à d’autres blogs ou à tout type de projet car il n’est pas fait sous forme d’articles de blogs mais avec des cartes interactives via le logiciel mind manager. Je suis donc preneur de toutes critiques et je suis prêt à ouvrir un wiki s’il le faut pour apporter des améliorations. Comme d’habitude ce cours est mise à disposition de tous. En voici donc les trois parties :
La première partie concerne les premières démarches.
La seconde porte sur l’évaluation de l’information
La troisième sur la communication.
Les premiers billets des élèves devraient apparaitre bientôt et seront donc ouverts aux commentaires.
Affaire à suivre donc…
J’ai rencontré le désenchantement…des campagnes
Il est fréquent de dire que les élèves de banlieue sont souvent désœuvrés et manquent de structures à la fois familiales et mentales. On pourrait croire nos campagnes épargnées, …et bien non!
Le collège où j’exerce en est un exemple flagrant. Le niveau y est très médiocre et le comportement disciplinaire très loin d’être parfait. Il est vrai que le collège est petit et que ce n’est donc pas le far-west pour autant.
J’ai parfois l’occasion de discuter avec mes élèves et on apprend pas mal de choses sur le mode de vie et c’est souvent alarmant quand on examine leurs modes alimentaires et culturels.
Hier, j’ai pu discuté avec un sixième en grande difficulté qui relève de la segpa et qui m’a confié qu’il avait dans sa chambre : une télévision avec canal plus, une playstation et qu’il regardait évidemment tous les soirs la télévision et notamment canal plus…même si les programmes s’adressaient à un public adulte. Cet élève espère bientôt recevoir de son parrain une nouvelle console, et devrait (enfin) avoir la TNT dans sa chambre. Je passe sur les étranges aventures avec la mini-moto surpuissante et la passivité des autorités locales sur cet aspect. Il y avait probablement de l’exagération dans ses propos, mais il est bien l’archétype du désenchantement dénoncé par Stiegler avec un désir jamais assouvi et reporté sans cesse sur la dernière nouveauté technologique qui sera achetée un jour et dont l’intérêt sera remplacé par la future nouveauté.
Finalement il n’y a jamais de stabilité du dispositif sociotechnique et le zapping demeure permanent ce qui explique l’incapacité à demeurer concentré en cours plus de 20 minutes. La fracture n’est pas encore une fois numérique. Les parents usant souvent des diverses allocations pour s’équiper en écran plats et autres objets techniques clinquants et vantés sans cesse par la publicité et qui permettent de paraitre pour un temps plus riche que le voisin.
Il n’y a pas de transindividuation mais une tranformation du ghost out of the shell. Y-a-t-il vraiment des « digital natives »? Ce n’est pas certain, mais la question est plutôt : Y-a-t-il des individus ? L’état de minorité face à la machine est alors permanent et il nous faut d’urgence refonder le projet des lumières pour aller vers une « neue Aufklärung »