La CI en 7 leçons. E05. La culture de l’information repense les aspects de la formation liés à l’information.

Suite de la série hiémale sur la culture de l’information.  Pour rappel, l’épisode 1 est ici, le second est là , le troisième ici et le précédent est là.
Une des principales difficultés réside dans le fait de savoir de quelle information, il s’agit au sein de la culture de l’information. A priori, l’adjonction des deux termes parait presque antithétique avec une culture inscrite dans la durée et une information souvent perçue comme éphémère.
Il convient donc de clarifier la notion d’information en la regardant dans une perspective historique plus large et différente de celle qui assimile l’information à des simples flux ou à de brèves nouvelles issues des médias.
En premier lieu, il convient de rappeler la prise de forme qui s’effectue dans l’information. Sans pour autant revenir à un schème hylémorphique trop classique (vision d’Aristote du potier qui donne forme à la glaise), nous avons donc choisi d’opter pour une conception puisant dans les travaux de Gilbert Simondon. Ce dernier substitue d’ailleurs la notion d’information à celle de forme :
La notion de forme doit être remplacée par celle d’information, qui suppose l’existence d’un système en état d’équilibre métastable pouvant s’individuer : l’information, à la différence de la forme, n’est jamais un terme unique.[1]
Il reste que la polysémie du mot information n’est pas totalement résolue dans les travaux de Simondon où se mêlent diverses influences notamment celle de la cybernétique. En ce qui concerne la culture de l’information,  il est possible de conserver les trois principaux sens de l’information à la fois en tant que nouvelles, données et connaissances auxquelles on pourrait rajouter une dimension de médiation. Il convient cependant d’insister sur les aspects de formation voire de déformation qui se jouent autour de ces différents types d’information.
En effet, le contraire de l’information est d’abord la déformation. Cela signifie que l’intérêt de l’information réside dans sa capacité de formation, c’est-à-dire dans les possibilités qu’elle ouvre dans la construction des individus et des collectifs d’individus. Nous partageons la position de Bernard Stiegler issue de Simondon, que cette formation, qu’il définit plutôt comme une individuation voire une transindividuation, ne peut s’opérer qu’au sein de collectifs d’humains et de machines : les milieux associés.
Cependant, de plus en plus, ces milieux sont surtout dissociés, c’est-à-dire qu’ils court-circuitent la formation et constituent plutôt des dispositifs de déformation. Bernard Stiegler démontre particulièrement ces aspects en ce qui concerne la télévision. Cependant, nous avons montré que le web 2.0, qui repose souvent davantage sur la popularité, ne garantit pas la constitution de milieux associés notamment du fait de nombreuses infopollutions. Bernard Stiegler parle d’ailleurs de « jeunesse déformée », notamment par un déficit d’attention qui est la conséquence des stratégies publicitaires que nous pouvons rencontrer notamment sur les skyblogs mais qui prennent de l’ampleur sur la plupart des dispositifs numériques actuellement.
De même, du fait d’une complexité liée aux évolutions du document numérique, de nouveaux défis documentaires et sémantiques sont posés. La réalisation de ces milieux associés peut s’effectuer dès lors dans une continuité de l’héritage documentaire, avec le développement de nouvelles techniques documentaires (qui sont également désormais informatiques et numérique) pour faciliter l’accès à de l’information digne de confiance et des outils qui autorisent la création, l’annotation et l’invention.
Il s’agit donc de percevoir l’information non pas selon le paradigme informationnel qui consiste à faire de l’information une valeur marchande qui ne cesse de décroître, mais de développer la formation à l’œuvre dans l’information pour aller vers la société des savoirs dont la valeur se maintient. L’information de la culture de l’information diffère donc de celle de la société de l’information. Elles proviennent toutes deux de la raison mais au sein de la société de l’information, elle devient surtout ratio, c’est-à-dire calcul. Dans la logique de la société de l’information, tout devient mesurable si bien que la quantité prime sur la qualité. L’information se met alors au service de la performance. Une performance qui consiste en une trans-formation généralisée de la matière aussi bien que de l’esprit [2]. En effet, l’adjonction autour des discours de la société de l’information est celle de l’adaptation dans une logique de survie.
Bon nombre de discours et d’articles autour de l’information literacy n’échappent pas à cette vision extrêmement concurrentielle entre les individus et qui présentent les habiletés informationnelles comme des moyens de se distinguer par rapport aux autres.
L’adaptation imposée entraîne une déformation facilitée chez les jeunes générations par la prédominance du besoin d’affirmation sur le besoin d’information.
La culture constitue davantage une réponse, même si elle n’est pas exempte de normes :
C’est elle qui constitue le monde auquel nous devons nous adapter, en même qu’elle est la boîte à outils dont nous avons besoin pour y parvenir. (…) Considérer le monde comme un simple réservoir d’informations, que chacun traiterait à sa façon, ce serait perdre de vue la manière dont l’homme se forme et fonctionne. [3]
Si la culture donne forme à l’esprit, c’est également parce que l’individu en tant que « je » peut prendre part au « nous ». Un nous participatif face à un « on », indéterminé, qui contraint à se conformer à une logique utilitariste, qui même si elle se prétend anti-idéologique, devient pourtant une idéologie aussi puissante. Elle en devient négative pour la formation et pour l’éducation en général comme le remarque bien Philippe Meirieu :
Nous sommes passés de la transmission d’une culture et de valeurs assumées (ce qui ne signifie nullement, bien sûr, qu’elles n’étaient pas contestables sur le plan éthique et politique) à la production de résultats identifiés : or, en dépit d’un consensus social apparent sur la nature et l’importance des ces résultats (l’acquisition du socle commun, la formation à la citoyenneté, l’élévation du niveau de qualification, etc.), ces résultats ne sont actuellement que des « utilités scolaires et sociales », privés de toute verticalité capable de les relier, en même temps, à un patrimoine et à un projet, à un passé et à un futur.[4]
Voilà pourquoi, nous avons avancé l’idée d’une reformation de la culture de l’information (titre de notre thèse), qui prenne en compte les enjeux évoqués. C’est aussi la réalisation d’un programme culturel autour de la formation qui évite autant la nostalgie éducative que la seule logique utilitariste.
Nous préconisons la poursuite d’un travail de transmission autour d’un héritage qui ne soit pas un fardeau mais au contraire porteur de potentialités. Simondon défend l’idée d’une société métastable c’est-à-dire dont les potentiels ne sont pas épuisés et dont l’ensemble des savoirs n’est pas figé. La formation doit donc se concevoir non pas au sein d’une culture normée et inscrite dans des logiques d’héritiers mais plutôt au sein d’une culture technique qui permet davantage la formation de l’individu.



[1] Gilbert SIMONDON. L’individuation psychique et collective : A la lumière des notions de Forme, Information, Potentiel et Métastabilité.Editions Aubier. 2007., p.35
[2] Bernard SIEGLER. Constituer l’Europe. T.2 Le motif européen. Paris. Galilée, 2005, p.32
[3] Jérôme BRUNER. car la culture donne forme à l’esprit: De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Retz, 1991
[4] Philippe MEIRIEU. Le maître, serviteur public »Sur quoi fonder l’autorité des enseignants dans nos sociétés démocratiques ? Conférence donnée dans le cadre de l’École d’été de Rosa Sensat, Université de Barcelone, juillet 2008. < http://www.meirieu.com/ARTICLES/maitre_serviteur_public_version2.pdf> p. 5
 

C’est même à ça qu’on les reconnait

Trop de nouvelles d’un coup cette semaine et plutôt des mauvaises, au bout d’un moment, la soupape saute. La goutte d’eau, c’est cet éditeur, Gallimard qui cherche par tous les moyens à déstabiliser les nouveaux acteurs en faussant l’innovation, l’expérimentation et le marché culturel en empêchant les autres d’avancer. Après avoir annoncé sa volonté d’acquérir Flammarion, voilà que l’attaque porte sur François Bon, coupable de diffuser une traduction du vieil homme et la mer pour lesquelles Gallimard disposerait  des droits numériques.
Maitre Eolas a raison de signaler qu’Ernest a bien sûr signé de sa main l’autorisation pour Gallimard de gérer ad vitam aeternam ses copies numériques. On trouvera bien quelques témoins de l’époque.
Évidemment, les gros acteurs du marché n’ont pas envie de se faire piquer la part belle par de nouveaux acteurs. Tous les coups sont permis depuis les subventions de l’état jusqu’à l’arsenal juridique.  Il est probable d’ailleurs que les deniers publics servent à ce genre de mesquinerie.
Si ce type d’acteurs commencent à venir pourrir les territoires numériques, j’encourage les bibliothèques et centres de doc à répondre de la manière la plus nette et sans équivoque : plus de commande d’aucun ouvrage de cet éditeur à partir de maintenant.  Les lecteurs seront libres d’en faire autant.  Évidemment, on va aussi pénaliser les auteurs, me dira-t-on. Sans doute, mais un boycott n’est pas fait pour durer…il s’agit juste de décaler les commandes. Hors de question qu’un acteur se permette de dicter sa loi.
 
Et s’il n’y avait que Gallimard ! Dassault vient nous pourrir aussi le territoire avec le rachat de netvibes. Par conséquence, l’univers ‘le portail des actus » que je maintenais depuis 2008 va prendre son indépendance sous Posh de portanéo.
On aura beau jeu de parler d’économie du numérique si ce n’est qu’à terme, on ne fasse qu’avantager les plus gros pour qu’ils flinguent ou rachètent les petits. Belle économie du numérique à la mode Fouquets; aux combines et aux comptes bidonnés et gonflés. En témoigne, le dernier gros arrivant sur twitter, notre président, pas le camembert, le candidat dont une bonne partie des followers sont des comptes bidons. Qu’ils reprennent donc leurs viagras numériques sous peine de voir les univers numériques se  transformer en zone de guérilla. La plupart des opportunistes repartiront heureusement après un bon coup de pied dans les urnes.
Twitter est de moins en moins une cour de récré d’ailleurs.  L’esprit qui avait accueilli l’arrivée de Frédéric Lefèbvre comme il se doit n’est plus là. C’est bien dommage.
Tout n’est pas perdu à condition d’agir en conséquences.
 

Entretien avec David Aymonin sur le learning center

Le learning center est au centre de nombreuses interrogations. Quoi de mieux dès lors que d’interroger David Aymonin, celui qui dirigea le Rolex center et  qui est aujourd’hui en Nouvelle Calédonie au SCD de Nouméa après après avoir été conservateur de bibliothèques en Métropole mais aussi responsable de diverses structures documentaires de par le monde. Vous trouverez ici quelques éléments sur lui, même s’ils sont déjà un peu anciens. Bonne lecture et à vos réactions.
En préambule à « l’interviouwe » qui va suivre, je voulais d’abord te remercier Olivier de m’avoir contacté dans ma lointaine contrée, désormais la Nouvelle Calédonie, pour me donner l’occasion de réfléchir et de m’exprimer sur le sujet des learning centers, en l’élargissant à celui des bibliothèques scolaires appelée chez nous CDI, et en me permettant de constater à quel point le monde entier est confronté aux mêmes questions, de l’Australie à la Nouvelle Zélande, en passant par la Finlande ou la Suisse.
1. Quelle définition donnerais-tu du  learning center ?
Je dirais que c’est une bibliothèque conçue et organisée pour permettre à ses utilisateurs de mener et réussir leurs projets d’études et de recherche.
Autant que l’accès à l’information (sur place et à distance et sur tous supports) avec son propre matériel (ordi portable, tablette, cahier, crayon, etc..) sinon via le matériel mis à disposition, c’est le service personnalisé d’aide et d’assistance offert par le personnel qui compte le plus,
Auxquels s’ajoutent les dispositifs mobiliers (mobilier flexible et mobile ou au moins facile à bouger, salles de travail en groupe, tableaux blancs, systèmes d’accrochages aux murs, câblage électrique et informatique adéquat) et matériels (copieur multifonction en réseau, scanner, ordinateurs portables ou fixes accédant à internet, équipés des logiciels adéquats, acceptant clés usb et cartes SD ou la connexion bluetooth avec les téléphones, TV, lecteur de CD/DVD, massicot, relieuse, agrafeuse, etc…, bref tout équipement technique et informatique pour consulter, capturer, assembler, produire, gérer les documents, sur tous les supports),
Et bien sûr les conditions d’accessibilité adaptées aux besoins et possibilités de la population desservie (horaires ajustés aux heures où le public est disponible), accès autonome à certaines heures (les professionnels doivent pouvoir dormir 😉 ) et diversité des ambiance (silence là où c’est nécessaire, bruit là où c’est possible) et le fait d’offrir un certain confort (zones de détente, boissons)
Pour mesurer le changement que cela peut représenter le learning center, par rapport à une bibliothèque plus traditionnelle qui se conçoit comme ayant d’abord une offre de documents, la phrase type que prononcerait un professionnel en y voyant entrer un lecteur serait : Puis-je vous aider ? au lieu de Que cherchez-vous ?
Bref, rien de très nouveau sous le soleil, mais cela nous pose de vrais problèmes d’adaptation de l’existant dans nos bibliothèques, notamment celui des moyens financiers nécessaires pour assumer ces transformations. Au niveau humain cela ne me semble pas très compliqué, les bibliothécaires ont déjà largement prouvé dans tous les pays qu’ils portent déjà cette mission, et savent réagir face aux changements induits par le numérique (et la société de consommation).
2. Que penses-tu de la volonté actuelle de  transformer les CDI en  learning centers ?
Dans un contexte où l’Etat se déclare lui-même quasiment en faillite – et de nombreux pays ont le même discours, il n’y a pas qu’en France qu’il faille “couper dans les dépenses publiques, alors que le PIB mondial n’a jamais été aussi élevé selon les statistiques… – il devient nécessaire pour certaines autorités de trouver des solutions à des problèmes anciens, tout en faisant des économies.
Pour ce que j’en ai compris et entendu, il me semble que la démarche actuelle visant à transformer les CDI en learning centers est motivée par ce double objectif.
Et j’ai comme l’impression que le problème à régler en France est double :
1.    Tout d’abord l’identité professionnelle des professeurs documentalistes n’est pas reconnue par leurs pairs (principaux et proviseurs, professeurs des autres disciplines, IGEN).
2.    Le monde de l’enseignement a par ailleurs un besoin urgent de trouver des moyens pour mieux accueillir les élèves pendant les absences des profs, de trouver des locaux accessibles pour le travail en groupe, d’avoir enfin des gestionnaires de l’informatique et du réseau.
3.    Et donc, en dehors du monde des professeurs documentalistes, l’équation se résout d’elle même si l’on transforme le CDI en espace d’appui à la vie scolaire et les documentalistes en assistants de la vie scolaire.
Ce n’est pas forcément idiot ni inutile, mais c’est sans doute un changement radical et prendre le risque de nier le rôle des enseignants documentalistes en tant qu’enseignants en charge de la transmission de la compétence informationnelle aux jeunes de12 à 18 ans.
Mais je ressens que c’est surtout très peu honnête de cacher cette volonté derrière l’expression “learning center” et de vouloir faire croire que la modernisation du métier de documentaliste est l’objectif de ces changements.
Peut être est-on en train d’essayer de déshabiller Pierre pour habiller Paul, sur le dos de Gérard. Mais Gérard, s’il est fin tacticien, pourrait en profiter ….
Car si l’on met le learning center au centre de l’établissement en diversifiant ainsi les missions du CDI, le travail sera pour nos collègues beaucoup plus varié et concret, avec des résultats tangibles et d’une grande ampleur.
Cela pourrait apporter un niveau de réalisation personnelle des documentalistes plus élevé, grâce aussi à de plus nombreux contacts de contacts avec le reste du monde, administration, proviseur ou principal, enseignants, élèves, entreprises fournisseurs, etc.
A la condition de récupérer non seulement la mission mais aussi le pouvoir de décision correspondant, comme par exemple le budget informatique de l’établissement.
Une certaine déconcentration administrative serait le corollaire de cette réforme.
3. La démarche de transformation des CDI en LC te semble-t-elle pertinente, faisable, réalisable, adéquate, adaptée au système éducatif français? (adaptée à l’enseignement secondaire français notamment)
Au vu de ce que j’ai dit juste avant, à moins d’un changement déjà mené et de moi inconnu, je ne vois pas comment l’administration française et notamment l’éducation nationale avec sa culture centralisatrice et ses processus administratifs et comptables si particuliers – et que le monde regarde avec étonnement et incrédulité parfois 😉 – arriverait à jouer le jeu.
Lors d’un récent déplacement à Auckland en Nouvelle Zélande, j’ai eu un échange passionnant avec les responsables de la bibliothèque nationale néo zélandaise, qui aujourd’hui travaillent ENORMEMENT avec les bibliothèques scolaires et ont réfléchi à l’avenir de ces bibliothèques.
Selon eux, ensemble avec les enseignants de toutes les disciplines, les bibliothèques scolaires doivent donner non seulement la capacité mais aussi le goût et même l’AMOUR de la lecture à tous les enfants. Ce projet se base sur les résultats de la recherche qui indiquent que ce facteur est très important dans la réussite des études ultérieures.
Dans le système néo zélandais, les bibliothécaires des écoles ne sont pas bien formés à la bibliothéconomie et ne sont pas enseignants. De ce fait, historiquement la bibliothèque nationale a beaucoup contribué au développement de la lecture et des bibliothèques scolaires. Ils ont développé un service universel, centralisé et individualisé pour chaque école et chaque enseignant, basé sur les ressources papier (un enseignant ou une bibliothèque scolaire peut commander des livres sur un sujet) et online, poser des questions, demander un conseil ou obtenir les ressources documentaires  : http://schools.natlib.govt.nz/curriculum-service-online-request-form.
Ce système, fort éloigné du nôtre, donne cependant des pistes de réflexions intéressantes sur ce qui doit être mutualisé et géré à un niveau collectif en dehors du CDI, et en remplacement des CDDP en voie d’extinction. Remplacer des services locaux toujours en sous effectif ou ouverts aux mauvaises heures par un service universel à distance et gérés par des pros pour les pros ! Pas mal hein !
En Australie par contre le modèle professeur documentaliste est implanté, comme chez nous, http://www.asla.org.au/policy/school.libraries.Australia.htm, mais le manque de moyens (ou les économies souhaitées) font que le système est aussi remis en cause.
Les collègues néozélandais m’ont signalé qu’ils étaient proches de ce que faisait la Finlande en matière de soutien à la lecture et aux bibliothèques scolaires. Originalité du modèle finlandais semble-t-il et qui peut alimenter la réflexion : selon les documents mis en ligne, l’associations des bibliothécaires scolaires essaie de de discuter avec les PRINCIPAUX de collège et les PARENTS : http://www.oph.fi/download/47629_good_school_library.pdf
Les américains semblent à la recherche de la pierre philosophale dans le même domaine et sont allés voir dans le monde ce qui se passait. On trouvera une vidéo intéressante de l’American Library Association qui présente le système finlandais http://www.youtube.com/watch?v=X8-TK8BR-I8. Et une page web qui recense les associations de bibliothécaires scolaires dans le monde et décrit leurs actions : http://connect.ala.org/node/76430
4. Quelles compétences (spécifiques ?) s’avèrent nécessaires pour les professionnels exerçant dans les learning center universitaires ?
En BU la fonction des bibliothécaires évolue à mon sens vers une plus grande polyvalence afin de répondre à toutes les attentes de nos publics et les nécessités de nos métiers, en face d’un monde massivement numérique, mais qui garde une grande partie de sa mémoire encore sur papier.
La BU elle même évolue du « tout posséder au cas où » au « avoir accès à tout, quand c’est nécessaire », ce qui change la manière de constituer et traiter les collections. Ensuite, du fait de la charge de service public, et du travail en équipe sur des améliorations, des innovations ou simplement la résolution de problèmes du quotidien, les bibliothécaires deviennent des gens très ouverts qui fonctionnement en mode projet, tout en gérant leurs tâches de spécialistes, et en faisant face aux imprévus du quotidien.
La formation à la recherche documentaire devient une activité quotidienne pour de plus en plus d’agents dans les BU. Chacun contribue un peu, ou beaucoup, selon son emploi du temps et son profil, via les cours donnés, les pages web alimentées, les renseignements donnés sur place ou via le guichet virtuel, etc…
Pour les recrutements, il est souhaitable de diversifier les profils des agents pour avoir des équipes capables de tout faire, de la gestion doc à la communication en passant par l’animation ou les nouveaux services via le web, ou surtout le contact direct avec les enseignants chercheurs, mais qui restent soudés par un métier commun de spécialiste de l’information, acquis par la formation sur le terrain ou par un diplôme.
Une tendance lourde est à mon avis la maîtrise des disciplines pour les acquéreurs et les bibliothécaires qui viennent en appui aux chercheurs : un bibliothécaire en fac de droit rend un meilleur service si il est (au moins presque) juriste. Il ou elle peut ainsi approcher sans complexe les enseignants et les chercheurs, et répondre à leurs besoins.
En BU la difficulté vient aujourd’hui du fait que les équipes sont souvent assez importantes et hiérarchisées, ce qui fait que les cadres A ou B sont moins concernés par les services au public que les agents de catégorie C. La polyvalence vaut pour tous et je crois indispensable que tous les agents soient face au public, d’une manière ou d’une autre. Cela demande un gros travail de réorganisation des équipes, avec des freins structurels et conceptuels forts.
En CDI c’est l’inverse, on a plutôt des « OPL, one person libraries » (cf http://en.wikipedia.org/wiki/One-Person_Library) et la polyvalence n’est pas un problème. Par contre la capacité à développer des projets, mener des chantiers importants de transformation, ou même simplement partir en formation, est très limitée. Un soutien collectif par un travail en collaboration entre plusieurs CDIstes d’une même ville est à mon avis indispensable.
5. Les étudiants que tu as pu observer en contexte sont-ils autonomes dans leur appréhension des ressources ?
Oui, suffisamment pour apprécier ce mode d’accès libre à l’information. En cas de besoin ils peuvent approcher les bibliothécaires pour demander de l’aide ou des conseils.
Cette satisfaction générale s’explique aussi par des raisons moins avouables :
–    l’illusion de compétence : c’est si facile avec google et wikipedia, n’est-ce pas….
–    L’absence d’exigence académique : si le professeur ne prescrit pas une recherche documentaire poussée qu’il évaluera et même notera, l’étudiant se contente de lire le polycopié ou le livre que le prof aura indiqué comme étant la référence utile.
La prescription enseignante joue donc un rôle essentiel pour amener les étudiants à vouloir développer leurs compétences informationnelles.
6. Quel(s) modèle(s) d’apprentissage, s’il en existe de solide(s), fonde(ent) le premier terme de l’expression “learning center” ?
Je ne suis pas qualifié en pédagogie, mais je crois pouvoir dire que c’est l’apprentissage par résolution de problèmes. Qui s’applique aussi bien en sciences exactes qu’en SHS ou en DEG.
7. Que demandent les documentalistes, bibliothécaires aux enseignants ? Que demandent les enseignants aux bibliothécaires ?
Cette question serait-elle le nœud du problème français ? Enseignants et documentalistes bibliothécaires ont-ils formulé clairement et précisément ces attentes à un niveau collectif ?
Aujourd’hui on pourrait penser qu’il y a un malentendu et même le dernier rapport moral de la FADBEN  n’arrive pas  à le dissiper car c’est comme si l’on voulait convaincre l’IGEN du rôle des documentalistes alors que ce sont les proviseurs, principaux et enseignants et même les parents, qu’il faut convaincre.
Je n’en dis pas plus, là je joue mon joker, si tu es d’accord.
8. L’ouverture aux partenaires économiques pour subvenir à leurs besoins ne participe-t-il pas de l’entrée du marché dans les institutions éducatives ? Peut-on prévoir les conséquences d’une adaptation d’un tel modèle ?
Dans mon précédent poste à l’EPFL à Lausanne on m’a demandé une fois si « R… Learning Center » ne me gênait pas. Ce n’est pas R… qui me gêne mais l’usage de l’anglais pour désigner la bibliothèque d’aujourd’hui.
Le marché est déjà dans les cours d’école avec les marques sur les vêtements et sur les portables et les mp3 des enfants. La question est selon moi : comment ne pas brader les intérêts publics en période de sous investissement de l’état et du collectif. Si la ressource manque pour faire correctement ce qu’il y a à faire, et si l’on ne veut pas que notre système éducatif ressemble à ceux du tiers monde (on en est si proche déjà), alors invitons à la table les partenaires économiques, mais prudemment, et voyons sur quoi on peut s’entendre.
9. Quels sont les coûts pour la constitution d’un LC…et sa gestion et sa pérennité ?
Les mêmes que ceux d’une bibliothèque universitaire bien dotée comme on en voit dans les pays voisins que sont l’Allemagne, le Danemark, les Pays bas, la Suisse, ou bien d’autres. C’est un peu plus cher que ce que l’on met en France en général dans le budget des BU, mais avec une bonne organisation, ouvrir tard le soir ne coûte pas beaucoup plus cher et cela rend un tel service aux étudiants que la société en bénéficie.
La documentation, une fois achetée ne coute pas non plus cher si elle est utilisée, c’est évident. Donc là aussi une mutualisation et une optimisation des collections peuvent permettre d’élargir l’offre sans en augmenter nécessairement le coût.
La conclusion à laquelle je suis arrivé au cours de la lecture des différents documents signalés, en réfléchissant à tes questions, en repensant à mon expérience dans les BU, c’est que si les enfants n’acquièrent pas au primaire et au secondaire la compétence informationnelle, ce sera une catastrophe à l’université et nos BU n’auront pas la capacité de rattraper ces années de formation perdues. Il est donc essentiel pour la société de maintenir cet enseignement d’une manière ou d’une autre, et même de le renforcer, car pour l’instant il n’est dispensé par aucune autre institution ni par les familles.

La C.I en sept leçons. E04 :La culture de l’information nécessite une rationalisation des enseignements associés

Suite de la série . Pour rappel, l’épisode 1 est ici, le second est là et le troisième ici.
Kit de survie, et kits en tous genres sont régulièrement mis à disposition et conçus par différents acteurs, en ce qui concerne l’éducation à l’information et aux médias.
Que dire si ce n’est que l’expression de kit appartient au champ sémantique du bricolage.
Un bricolage dont nous avons montré qu’il accentuait la lassitude des acteurs du terrain du fait d’un balisage institutionnel et disciplinaire flou.
La didactique de l’information tente de répondre à cette situation en essayant de distinguer les éléments essentiels à transmettre. Ce travail se trouve plus difficile à réaliser avec les évolutions du numérique, qui bouleversent parfois des évidences et des notions qui semblaient stables comme celle de documents ou d’auteurs par exemple. Cependant, cette complexité et les difficultés d’évaluation de l’information qui en résultent accroissent la nécessité d’une transmission et d’une formation.
L’objectif est en premier lieu de sortir de la logique de l’énonciation de compétences, qui peut apparaître comme un moyen de clarifier des objectifs mais qui a souvent le défaut de demeurer sur une transversalité qui empêche la réelle définition des savoirs et savoir-faire à transmettre.
Evidemment, plus il y a de rationalisation, moins il semble y avoir de souplesse possible. Cependant, nous considérons que la souplesse actuelle, qui repose sur la transversalité et les dispositifs type B2I, constitue plutôt un obstacle voire un impensé. Nous avions d’ailleurs montré que le B2I s’avère être en fait un triple obstacle à une culture de l’information, à une culture technique et à une culture informatique. D’autant plus, que cette logique aboutit à des instruments de certification auxquels aucune formation n’est réellement adossée.
Par conséquent, la didactique permet de sortir de la déclaration d’intention pour tenter une mise en place concrète sur le terrain. Il convient de préciser que le projet de la didactique n’est pas totalement achevé. Cependant, nous pensons que sa mise en place sur le terrain, particulièrement dans le secondaire ne peut attendre. Elle doit donc se co-construire avec des allers-retours entre théorie et pratiques afin de sortir d’une éventuelle querelle entre les tenants d’un enseignement top-down face à ceux qui préconiseraient un bottom-up.
De la même manière, il n’y a pas nécessairement de progression clairement déterminée avec des étapes à franchir les unes après les autres. Même si certaines notions peuvent être plus facilement abordées en sixième, comme par exemple la notion d’auteur ou de document, qui pourront être revues et affinées au fur et à mesure de la scolarité, il s’agit aussi d’effectuer un apprentissage en situation face à des obstacles ou des difficultés. Il est opportun de travailler l’évaluation de l’information assez tôt sans pour autant mentionner la notion d’évaluation de l’information.
Quoiqu’il en soit, notre travail sur la culture de l’information montre que les objectifs ne font pas de cette dernière une discipline isolée, mais que certains enseignements méritent des temps de formation dédiés et distincts des autres disciplines. Par conséquent, l’acquisition d’une culture de l’information ne peut continuer à reposer que sur des courtes séances glanées d’ici de là, bricolées sans cesse à la marge et dont la reconnaissance institutionnelle est faible, du fait d’une identification inexistante voire de second plan, puisque passant toujours après d’autres objectifs disciplinaires ou des objectifs de dispositifs tels que le B2I.
La culture de l’information s’opère sur des temps longs. Nous avons pu le constater en ce qui concerne l’évaluation de l’information , qui mérite des temps de formation et des temps de pratique et d’incessants allers-retours entre les deux. Cela signifie, que le simple fait de déclarer officiellement quelques heures marginales dans la scolarité dédiées à la formation à l’information ne garantira pas l’acquisition d’une culture de l’information pour tous.
Elle repose également sur des logiques de projet. En ce sens, les supports numériques et nouveaux hypomnemata (e-portfolios, etc.) permettent une construction sur du long terme avec la possibilité de conserver des traces des recherches d’informations, des sélections effectuées, des évaluations et des annotions réalisées sur les ressources et de consulter les productions finales. Ce travail, nous l’avons testé au cours du projet historiae qui va enfin renaitre grâce à Gildas Dimier, l’actuel boss de Cactus Acide.
La rationalisation des enseignements n’implique pas qu’un élève connaisse par cœur la définition de telle ou telle notion, mais davantage la comprenne pour réellement la mettre en application dans des situations et des projets. Les temps de formation dédiés seront donc d’autant plus efficaces que s’ils peuvent être suivis de projets d’ampleur plus importante, tels que les itinéraires de découverte et les travaux personnels encadrés. Nous ne pouvons d’ailleurs que déplorer leur disparition progressive.
Nous notons également malgré le temps dont dispose les élèves face à des projets qui se déroulent sur plusieurs semaines, qu’ils éprouvent des difficultés voire rechignent à opérer des temps de réflexion et d’analyse véritablement conséquents. C’est pourtant là que se mesure pleinement l’exercice de la skholé.
Sans skholé, il ne peut y avoir de culture de l’information. La formation à l’attention est un défi éducatif général. La culture de l’information s’opère évidemment de manière transversale, elle est donc aussi transdisciplinaire. Mais quels enseignements de discipline ne le sont pas ? L’argument qui consiste à affirmer que la culture de l’information ne mérite aucune formation particulière puisqu’elle peut se retrouver dans d’autres disciplines est tout aussi absurde qu’inquiétant. Elle repose sur le fait que les disciplines reconnues à part entière ne pourraient être transdisciplinaires.
D’autre part, ce n’est donc pas parce que la culture de l’information est quelque peu transmise au sein de dispositifs transdisciplinaires, qu’elle ne doit pas reposer sur des savoirs et des savoir-faire ayant été rationalisés, ce que cherche à réaliser la didactique de l’information.
En cela, les tentatives administratives actuelles n’opèrent que par dispersion avec une illusion de cohérence. C’est même vraisemblablement, une opération bien rationnelle, pour ne pas dire un calcul, pour faire disparaitre le mandat pédagogiques des professeurs-documentalistes. C’est toute la différence entre le calcul et la raison. En ce qui nous concerne, nous privilégions la raison aux petits calculs. (affaire à suivre également au congrès de la FADBEN 2012)

La CI en 7 leçons. E03 : La culture de l’information implique un paradigme différent de l’information literacy : vers une culture citoyenne.

Megaupload étant down, il n’y a donc aucune raison de rater le troisième épisode de notre série hiémale. Pour rappel, l’épisode 1 est ici, le second est là.
Attention, cet épisode est clef pour comprendre la suite et l’éventuelle deuxième saison. Car certains mauvais scénaristes tentent de diluer la culture de l’information en s’inspirant du modèle de l’information literacy. Méfiez-vous des imitations !
Dans notre thèse (1), nous avons effectué un parallèle entre la culture de l’information et l’information literacy, en examinant leurs rapports et proximités ainsi que leurs divergences. Nous avons cherché à montrer que la culture de l’information constitue une nouvelle piste pour l’information literacy notamment dans son acception citoyenne.
L’information literacy repose sur une série d’acteurs qui sont très nettement issus du monde des bibliothèques notamment universitaires. La question du rôle des bibliothèques dans la formation à l’information apparaît primordiale dans notre analyse. Les bibliothèques universitaires et notamment les bibliothèques américaines se sont emparées de la formation dans la logique de la société de l’information comme le montrait le texte de l’ALA de 1989. Ce texte écrit quelques jours avant l’investiture de George H. W Bush, après les années Reagan qui avait vu une forte diminution des fonds pour les bibliothèques, constitue une tentative de démonstration de la réalité économique des bibliothèques et de leur rôle clef en ce qui concerne la formation et la préservation de la qualité de l’information. Dans cette lignée, l’information literacy et les acteurs de la formation à l’information vont maintes fois et encore actuellement se poser la question des résultats de ces formations afin de démontrer leur efficacité. Cette obsession de la justification se constate régulièrement. Le titre du congrès ILFA de 2008 est ainsi éloquent : « Retour sur investissement: évaluer l’enseignement de la maîtrise de l’information. Qu’apprennent-ils vraiment et à quel prix? »
Peu de disciplines se posent autant cette question de l’efficacité. Mais il est vrai que les bibliothèques universitaires s’emparant de cette formation ont rapidement désiré se démarquer des enseignements traditionnels en se voulant efficaces et adaptés aux exigences de la société de l’information. Ainsi, cette formation s’est effectuée sur des modèles procéduraux et fréquemment à la marge des cursus classiques. Rejoignant parfois des projets de méthodologie générale notamment en France, les savoirs et les notions à transmettre sont rarement clairement identifiés.
Le problème demeure sans cesse celui de la légitimité de ces enseignements où interviennent différents acteurs pas toujours bien identifiés par les étudiants …d’autant que certains enseignements sont parfois assurés par des tuteurs eux-mêmes étudiants. Au final, il ne s’agit pas de réels enseignements mais de méthode. Dans ces conditions, la légitimité institutionnelle de ces formations est faible et rejoint la délicate position des professeurs-documentalistes également en quête de légitimité.
Du fait d’une faible légitimité institutionnelle, la formation repose nettement sur la qualité des intervenants et de fait sur les mécanismes de la popularité. Il faut sans cesse convaincre les étudiants de l’utilité d’un enseignement qu’ils n’ont pas choisi et dont ils ont parfois le sentiment qu’il leur est imposé.
Dès lors, il s’agit fréquemment de mesurer les effets de ces enseignements avec des enquêtes de satisfaction en reposant sur une tentative de légitimation populaire qui s’ajoute à celle de la légitimité économique. Ces stratégies visent à évaluer la qualité par la quantité, au sens de ce qui peut être évalué de manière chiffré.
Le bilan de la formation s’avère peu satisfaisant en général car il s’effectue à la marge et diffère énormément selon les universités et les lieux de formation. Le succès de la formation est coordonné au dynamisme des personnes qui assurent la mise en place de la formation et la capacité à convaincre les décideurs et les autres disciplines. Les britanniques (Webber, Johnston, Corral) recommandent ainsi des habiletés managériales pour les formateurs et préconisent le rapprochement conceptuel avec les sciences de la gestion pour développer le projet de l’information literacy de manière plus indépendante vis-à-vis des bibliothèques universitaires. Nous avons vu que ce choix consistait à un retour aux préconisations faites par Zurkowski en 1974 et qui se basaient sur un paradigme informationnel. Les suites de cette conception sont perceptibles dans une volonté de mesurer dorénavant la société de l’information ou plutôt en quoi un pays correspond aux critères d’une société de l’information .
Nous retrouvons dans cette volonté de retour sur investissement, ce qui se fait déjà en bibliométrie et en scientométrie pour mesurer les usages, les emprunts, et autres statistiques qui permettent une meilleure gestion bibliothéconomique. Ces mesures sont utiles mais leur extension à tous les domaines constituent une erreur d’interprétation de leurs forces et de leurs limites.
Cette volonté de mesurer les investissements renvoie à une logique nettement économique mais également basée sur la mesure d’usages à court terme. En aucun cas, il ne s’agit d’une construction visant à l’acquisition d’une culture.
Légitimité populaire, légitimité économique, tout cela semble éphémère et parait devoir être gagné sans cesse en vain. Derrière cette légitimité, il y aussi une confusion gênante. En effet, la formation à l’information devient un moyen supplémentaire de justifier le rôle des bibliothèques. Cette position dominante finit par nuire à la réelle mise en place de la culture de l’information tant il s’agit de défendre davantage des acteurs qu’une réelle formation.
L’absence de légitimité en matière d’autorité est la conséquence de savoirs non établis et de notions à transmettre non construites voire mal maitrisées du fait d’une variété d’intervenants. La piste didactique correspond ainsi à une démarche plus rationnelle.
Références :
Sur les aspects citoyens de la culture de l’information :
– Olivier Le Deuff (2009) « La culture de l’information et la dimension citoyenne », Les Cahiers du Numérique. « La culture informationnelle ». Paris Hermes-Lavoisier, vol.5, n°3, p. 39-49
(1) La culture de l’information en reformation. (sous la dir. d’Yves Chevalier). Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication. Université Rennes 2, Septembre 2009
Disp. en ligne :

La culture de l’information en 7 leçons. E02. La culture de l’information représente une culture globale et commune mais avec des spécificités.

Suite de la série de l’année 2012, bon ce ne sera pas aussi fun que Californication, mais voici le second épisode. Pour rappel le premier est ici.
Il est tentant de considérer la culture de l’information comme une forme de culture générale.
La culture de l’information se distingue des discours globalisants de la société de l’information qui procède surtout par uniformité des moyens techniques employés et des usages requis. Les discours de la société de l’information, qui considèrent l’individu d’abord comme un consommateur ou un usager, privilégient une uniformité voire un mimétisme dans les dispositifs.
La culture de l’information procède de manière inverse avec des éléments communs, en ce qui concerne la formation plus particulièrement, de afin que les individus puissent se constituer de manière non-conforme. Des éléments qui sont propres d’ailleurs à la notion de culture :
On désigne par le concept de culture l’ensemble des médiations symboliques des représentations de l’appartenance sociale : la culture est ce qui se partage, ce qui constitue un patrimoine commun de représentations en quoi se reconnaissent les sujets qui revendiquent la même appartenance sociale et symbolique. (1)
La culture de l’information repose ainsi sur le partage de valeurs communes. Mais il s’agit aussi de prendre part et non seulement de se partager un héritage. Ce n’est donc pas une culture imposée ou d’héritage de type religieux, mais une culture à laquelle il s’agit d’accéder. Il y a donc une part d’élévation dans cette culture qui est également « instituante » (on reviendra sans doute prochainement sur ce blog sur la question de l’élèvation). Dans la lignée de Condorcet qui plaçait la tradition à la fois dans le passé mais également dans le futur en vue d’une amélioration constante (2) . Cette vision d’une république en amélioration repose sur l’instruction et s’illustre parfaitement dans le projet encyclopédique dont la publicisation des savoirs permet, comme le préconise Simondon, de refaire et d’améliorer. C’est également un moyen d’éviter l’unilatéralité :
La tolérance est ainsi une valeur directement suscitée par l’ouverture informationnelle. (3)
Il ne s’agit donc pas de préconiser une culture uniforme et en ce sens la culture de l’information n’est pas qu’un concept français ou francophone comme nous l’avons montré dans les différentes acceptions au niveau international.
Cependant, nous observons dans les différentes études le constat commun de la convergence, voire d’une culture de la convergence pour reprendre l’expression d’Henry Jenkins. En effet, nous avons constaté que des divisions et séparations entre certaines littératies et éducations ne sont plus opérationnelles. De fait, la culture de l’information est autant une culture de la communication, que des médias et des techniques informatiques. Nous notons qu’en ce qui concerne la participation et la prise de part au sein de la culture, nous retrouvons encore une fois Henry Jenkins qui évoque une culture participative (participatory culture).
Pour autant, elle mérite selon nous que soient définies des actions de formations spécifiques ainsi que des savoirs à transmettre.
Une culture néanmoins spécifique ?
Il convient de se demander finalement quelles sont donc les frontières de cette culture de l’information autant en ce qui concerne ses territoires que de ses potentiels formateurs :
Car s’il faut à tout prix former les élèves du secondaire et les étudiants, cela ne relève-t-il pas, en définitive, de l’enseignement lui-même, de l’acquisition d’une culture générale et disciplinaire ? Autrement dit, jusqu’à quel point peut-il exister une formation spécifique, prise en charge par les bibliothécaires et les documentalistes ? La question n’est pas de pure forme et procède de la nature même de l’évaluation qui mobilise à la fois des savoirs disciplinaires (pour la validité scientifique des documents) et documentaires (pour l’évaluation de la fiabilité de la source ou de la qualité formelle des documents). (4)

Autrement dit, la culture de l’information n’est-elle que du ressort des professeurs-documentalistes dans le secondaire ou des bibliothèques dans le supérieur ? Évidemment non. Ce n’est donc absolument pas un domaine réservé. Pour autant, il appartient d’envisager sa mise en place concrète en distinguant les acteurs les mieux placés pour dispenser la formation.
Le fait justement que beaucoup d’acteurs se sentent parfois concernés par le sujet a pour conséquence le mélange des genres et des représentations. Il y a différentes cultures de l’information selon les professions. D’autre part, le fait de considérer que cette culture est un élément clef de la culture générale témoigne certes de son importance, mais accroit le risque qu’il n’y ait pas de réelle formation.
En ce sens, le travail de didactique de l’information portée par des professeurs-documentalistes constitue une piste de rationalisation qui vise à sortir des discours trop généraux et simplement incitatifs. Il s’agit de savoir ce qui peut réellement être transmis et comment cela peut être réalisé. Pour cela, il faut vraisemblablement préalablement sortir du paradigme informationnel de l’information literacy.
1. Bernard LAMIZET. Les lieux de la communication. Mardaga, 1995, p.44
2. « Le but de l’instruction n ‘est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger » Condorcet. Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791), édition Garnier-Flammarion. p.93
3. Nicolas AURAY. « Ethos technicien et information. Simondon reconfiguré par les hackers », in Roux, R. (dir.), Gilbert Simondon. Une pensée opératoire, Saint-Etienne, Presses de l’Université de Saint-Etienne, 2002,125-147. P.125
4. Serres, Alexandre. « Evaluation de l’information : le défi de la formation ». Bulletin des Bibliothèques de France, n° 6, décembre 2005, p. 38-44. in BBF

Personal Branding : on solde ?

J’ai toujours été contre la position du personal branding d’une part car elle est dangereuse pour l’individu d’autre part car elle relève de l’escroquerie pure et simple bien souvent. Ceux qui y adhèrent sont surtout des consultants qui font du personal branding une démarche commerciale pour faire vivre leur entreprise. Evidemment, les critiques existent déjà. La position du blog personal branling est une excellente réponse à cette situation car nous sommes tous aux frontières du culte de l’égo. Mais je crois qu’hélas, ça ne suffit pas tant cette mode prend de l’essor en grande partie parce que cela repose sur des discours assez simplistes et aussi car le web facilite grandement cet état de fait avec la prédominance de plus en plus grande de la popularité sur l’autorité qui ne cesse de s’accroitre depuis l’avènement du web 2.0.
Je rejoints donc assez fortement Olivier Blanchard dans son article de blog aux résonances funèbres pour un concept nauséabond et bidon. Ses conseils sont également bons car hormis pour des stars qui effectivement vendent leur marque personnelle, pour la plupart d’entre nous, c’est une bêtise absolue. Il reste que le concept de marque, non pas au sens marketing, mais au sens premier est très intéressant à creuser.

Le fantasme du gros Klout

Le personal branding c’est travailler l’image renvoyée, une représentation parfois faussée qui s’éloigne de la vérité intrinsèque. C’est le dopage pour avoir un gros Klout, le culte de l’égo plutôt que la prise de soin de soi.

Tout, tout, vous saurez tout sur le Klout

Terrible est également ce titre symptomatique d’un livre sur le sujet : MOI 2.0… il recèle en peu de signes, le maximum de bêtise et de danger. Il surfe sur cette idée que c’est l’individu qui est pleinement au centre du système et notamment du web. Il colporte le discours stratégique du web 2.0 dont on sait qu’il est faux : les gros leaders du web sont restés les mêmes et sont devenus plus forts. Contrairement à ce qu’avançait le Times il y a quelques années, l’individu ne contrôle pas l’âge de l’information…hélas. Ajouter 2.0 au MOI démontre bien la farce absurde tant le 2.0 accolé sans cesse à des concepts doit être réalisé avec prudence, les guillemets sont souvent de circonstance. D’autre part, le 2.0 est daté et on se demande quelle opportunité peut-il y avoir à sortir un bouquin avec du 2.0 inside en 2011 ?
Il est inadmissible qu’un tel positionnement puisse être mis en avant avec ce que démontre chaque jour les excès d’un capitalisme financier. Le personal branding ne fait qu’accroître le risque de faillite personnelle.
L’Ego face au soi.
La culture du Moi face à la culture du soi. Deux cultures différentes. L’une est vouée à un échec évident, cela va donner beaucoup de boulots au psy de gérer ses faillites personnelles suite au dopage réalisé sur les conseils des docteurs folamour du personal branding. J’espère que ces marchands du temple ne vont pas se ramener dans l’institution scolaire, on a déjà eu assez des Calysto et autres action innocence.
Je ne rejette pour autant pas le fait qu’on a tous besoin d’être valorisé et d’obtenir de la reconnaissance. C’est tout à fait humain et souhaitable. Je regrette simplement le fait que cela en devienne l’obsession avec tous les risques de frustration que ça génère en cas d’échec ou de dégonflage soudain. Combien de baudruches sur nos réseaux dont on ne sait réellement quelles sont leurs compétences ?
Combien ne prennent d’ailleurs aucun risque de peur de fâcher et tente d’obtenir des suffrages réticulaires pour faire gonfler leur nombre de suiveurs (followers) et ainsi arborer un Klout turgescent ? On peut avoir un gros Klout sans corones. A noter que l’entreprise gagne des sous désormais. Jusque là, on testait le service plutôt pour rigoler, mais constater que cela puisse devenir sérieux est inquiétant. Mais il est vrai  que quand un service est gratuit, c’est que quelque part  le produit, c’est nous. C’est vrai aussi que c’est le besoin d’être toujours noté qui revient avec ces palmarès et autres TOP auxquels il est difficile de résister. Moi aussi j’aime bien les classements, mais bon dans le TOP 50, j’aimais bien Toesca surtout car il me faisait marrer. Hélas, les mécanismes de classement prennent de l’ampleur et manquerait plus que ça devienne sérieux.
Ce mouvement est d’autant plus facilité que la reconnaissance des institutions et au sein des entreprises devient nulle voire totalement absente. Même les profs sont en recherche de reconnaissance à l’extérieur. Il suffit d’aller au forum des enseignants innovants pour y rencontrer ce besoin de reconnaissance.
Ce n’est pas l’échelon individuel qu’il faut remettre en cause. Le PKM (gestion personnelle de son information et de ses connaissances) et la formation de l’individu à la culture de l’information sont nécessaires et un bien meilleur choix que celui d’imposer des règles et des mesures imposées d’en haut. De même, il n’est pas choquant qu’on puisse conseiller des personnalités ou des individus qui ont besoin de revoir leur stratégie et leur présence en ligne, mais qu’on ne leur prétende pas la lune qu’on ne leur vende pas n’importe quoi. La présence en ligne et hors ligne, c’est aussi savoir (où) donner comme le disait Bruno Grimaldi :  sinon à « retour de manivelle, tu te retrouves en bas de l’échelle ».
Plaidons davantage pour un travail sur soi, une amélioration et une remise en cause personnelle plutôt qu’une stratégie de la gonflette. La culture du soi implique un passage au collectif plus aisé. La progression personnelle peut servir le collectif, la culture du moi réside dans le sens inverse, c’est-à-dire dans l’utilisation du collectif à ses propres fins. Encore une fois la culture de l’information face à la déformation qui atteint de plus en plus nos identités numériques.
Vanter les mérites du personal branding, c’est bien le dernier élément d’une consumérisation à outrance qui commence à polluer le web de manière irrémédiable. Peut-être plus qu’une révolte des indignés, c’est celles des « vauriens » face aux vendeurs d’EPO en E-réputation qu’il faut réaliser.

Appel à publications. « La dimension éducative du document numérique »

Je fais du buzz autour de cet appel à publications pour un numéro  de Document Numérique que j’ai la chance de diriger autour de la thématique suivante :
« La dimension éducative du document numérique ».
Si vous êtes intéressé, la deadline est le 15 mars 2012.
Thématique
Ce numéro cherche à mettre en avant les dimensions pédagogiques du document numérique tant au niveau institutionnel (pédagogie en ligne, utilisation du document numérique en présentiel et à distance) qu’au niveau plus informel dans des pratiques d’autoformation notamment.  L’utilisation des documents numériques devient de plus en plus fréquente mais les usages, les pratiques varient selon les supports, les formats et les lieux d’utilisation.  Ce numéro souhaite donc développer les différents types de relations sociotechniques qui existent entre le document numérique et les enseignants et apprenants.
 
Objectif
Quels sont donc les méthodes, langages et médiations mis en œuvre pour conférer une valeur pédagogique au document numérique ? En quoi un document peut-il avoir une valeur éducative et comment s’opère cette relation ? Quelle culture technique et informationnelle est alors nécessaire ?
Nous recherchons aussi bien des études d’usage auprès d’enseignants, d’étudiants et d’utilisateurs que des analyses théoriques à partir de données voire de méthodes pédagogiques. Nous accorderons un intérêt particulier pour des études autour des pratiques d’autoformation via des dispositifs en ligne qui ne soient pas initialement dédiés à l’apprentissage comme le sont par exemple les réseaux de loisirs créatifs (Le Deuff, 2010).  L’étude de communautés comme celle des hackers ( Auray, 2002) qui utilisent le document numérique à des fins d’échanges et de progression et d’amélioration en vue d’un objectif commun tout en facilitant l’amélioration de ses connaissances personnelles constituent des pistes intéressantes en ce qui concerne l’accès au savoir.
Quelles sont dès lors les mécanismes liées à la motivation (Fenouillet, Carré, 2008) qui permettent de répondre favorablement  aux différents besoins de formation et d’information ?
Les travaux autour des stratégies pour  inclure ou « engrammer » une progression  et stratégie didactique au sein du document sont vivement souhaités dans ce cadre.  Les méthodes de description de la valeur et du contenu pédagogique sont également les bienvenues. La question de l’évolution, des différentes versions qu’un document numérique (redocumentarisation) peut connaitre, de sa pérennité ainsi que celle de son archivage en tant que mémoire éducative pourra aussi être développée.
 
Le numéro cherche à montrer comment le document numérique évolue dans sa dimension éducative et comment il peut s’intégrer dans les formations et notamment quel peut être sa part au sein d’une culture de l’information  et des médias de plus en plus influencée par des environnements numériques.
 
Dans ce numéro nous souhaitons investir les thèmes suivants (liste non exhaustive) :
–     Aspects théoriques autour des aspects éducatifs, pédagogiques et didactiques des documents numériques
–     Langages et métadonnées pour la description des ressources pédagogiques
–     Granularité du document numérique pour l’enseignement
–     Usages du document numérique comme support pédagogique pour les enseignants
–     Usages du document numérique par les étudiants et les élèves
–     Types et méthodes de  production de documents numériques à valeur pédagogique
–     Identification, évolution et pérennité du document numérique.
–     Apprentissage en ligne via des documents dédiés
–     Autoformation via des supports numériques divers (forums, vidéos, plans, patrons, échanges et explications sur  des forums, réseaux sociaux numériques, réseaux sociaux thématiques)
–     Formation au document numérique et culture de l’information
–     Méthodes et apprentissage de la redocumentarisation.
–     Apport du web sémantique à l’usage éducatif du document
 
Références
AURAY, Nicolas. Ethos technicien et information. Simondon reconfiguré par les hackers. In Jacques ROUX. (sous la dir. de). Gilbert Simondon, Une pensée opérative. Publications de l’Université de Saint Etienne, 2002
 
FENOUILLET, Fabien, CARRE,P. Traité de psychologie de la motivation – Théorie et Pratiques. Dunod, 2008
 
LE DEUFF, Olivier. « Réseaux de loisirs créatifs et nouveaux mode d’apprentissage», Distances et savoirs. Vol.8, n°4, 2010,p.601-621
 
 
Comité de rédaction du numéro
–    Bruno Bachimont, Directeur à la Recherche, Université de Technologie de Compiègne
–    Eric Delamotte,  Professeur en Sic, Université de Rouen
–    Stéphane Caro, Professeur en Sic. Université de Bordeaux 3
–    Alexandre Coutant, MCF, Université de Franche Comté
–    Milad Doueihi, Professeur, chaire culture numérique, Université Laval à Québec
–    Olivier Ertzscheid, MCF en Sic, Université de Nantes
–    Fabien Fenouillet, MCF en psychologie, Paris Nanterre
–    Yves Chevalier,  Professeur émerite, Université de Bretagne Sud
–    Anne Cordier, Ater en sic, Université de Rouen
–    Cédric Fluckiger, MCF en sciences de l’éducation, Université Lille 3
–    Divina Frau-Meigs, Professeur, Université Paris Sorbonne 3
–    Gabriel Gallezot, MCF en Sic, Université de Nice
–    Thierry Karsenti, Professeur, Université de Montréal
–    Jacques Kernéis, Docteur en sciences de l’éducation,  Iufm de Bretagne
–    Brigitte Juanals, MCF en Sic, Paris 8
–    Pierre Lévy, Professeur, chaire d’intelligence collective, Université d’Ottawa
–    Louise Merzeau, MCF, Université Paris Ouest Nanterre
–    Jean Paul Pinte, MCF, Université Catholique de Lille
–    Stéphanie Pouchot, MCF, Université de Lyon 1
–    Alexandre Serres, MCF en Sic, Université Rennes 2
Calendrier
–    date limite remise contributions : 15/03/2012
–    réponse aux auteurs :                        15/05/2012
–    version finale auteurs :                     30/06/2012
–    livraison éditeur :                               15/09/2011
–    parution du numéro spécial :      fin 2012
 
L’éditeur et la revue : www.dn.revuesonline.com
Recommandations aux auteurs

  • Les soumissions sont à envoyer à Olivier Le Deuff (coordonnées ci-dessous) et devront respecter la feuille de style de la revue disponible sur le serveur www.e-revues.Lavoisier.fr (ou sur demande à : dn@lavoisier.fr)
  • Les articles ne devront pas dépasser les 20-30 pages. Ils sont acceptés en français (ou en anglais pour les auteurs non francophones).
  • les soumissions peuvent être envoyées sous forme de fichiers PDF (de préférence).
  • les versions finales seront acceptées sous format word ou PDF. Dans ce dernier cas, les corrections ortho-typographiques seront faites par les auteurs à la demande de l’éditeur.

Contact
Olivier Le Deuff, MCF en Sic, Université de Bordeaux 3.
Adresse : Iut Montaigne. Université de Bordeaux 3.
1, rue Jacques Ellul. 33800 Bordeaux
Tél. : 05.35.38.46.90
e-mail : oledeuff@gmail.com

La culture de l’information en 7 leçons. E01 : La culture de l’information, bien plus qu’une mode.

La culture de l’information ne peut être considérée comme une tendance passagère.
L’objectif de notre recherche doctorale était de parvenir à distinguer, parmi les discours et les articles, des éléments pour tenter d’apporter des éclaircissements sur une expression qui est utilisée dans différents domaines professionnels et parfois de manière opposée.
Il y avait donc un danger, celui d’ajouter à la somme des discours, un autre qui soit aussi vague et aussi péremptoire que les affirmations de la société de l’information. Nous avons vu à plusieurs reprises que les textes sur la formation à l’information opèrent parfois des rapprochements avec les expressions « société de l’information », « web 2.0 » et « digital natives ».  On ne peut  éviter leur examen.
Placer la culture de l’information dans la logique de la société de l’information ainsi que dans l’optique d’une évolution nécessairement web 2.0, marquant l’avènement de générations natives du numérique, ne pourrait laisser la culture de l’information que dans une position de simple tendance, un peu vide, qui finirait par disparaître avec son cortège d’expressions passagères. Une disparition inéluctable d’autant que la culture de l’information n’apparaitrait dans ce cadre que comme une subordination à une logique qui ferait de la formation à l’information un plus, un avantage possédé par les uns par rapport à d’autres et ce dans une logique d’adaptation.
Nous décrivons donc la culture de l’information, non comme une simple tendance, mais davantage comme une « permanence », en retraçant sa généalogie. Cela nécessitait d’aller au-delà de la généalogie récente, celle qui cherche l’apparition du mot. Elle ne pouvait être entièrement satisfaisante d’autant que la culture de l’information s’appuie sur des héritages et des éléments qui ne sont pas totalement nouveaux.
La culture de l’information s’appuie ainsi sur plusieurs « permanences » :

  • Celle du texte et de la littératie, tant perdure la nécessité de lire face à une diversité de sources et de données sur différents types de supports. Le lecteur devient cependant de plus en plus auteur dans un mélange complexe qui fait de lui un écritlecteur. La culture de l’information ne peut opérer sans l’apprentissage de ces techniques que sont la lecture et l’écriture.
  • Celle de l’héritage documentaire et de ses nombreuses avancées opérées par les pionniers de la documentation dans la lignée du développement de la science. Il s’agit des logiques de classements, des tentatives de découper le monde afin de le comprendre. Même si ces techniques évoluent continuellement face à la complexité du document numérique et l’accroissement des données à traiter, la culture de l’information constitue également une archéologie des savoirs en incitant au tri, au choix, à créer du sens afin que toutes les choses dites ne s’amassent pas indéfiniment dans une multitude amorphe.[1]
  • Celle de la technique comme condition de la pensée et comme culture opérationnelle. La culture de l’information repose sur des techniques, des hypomnemata comme supports de mémoire et acteurs constitutifs de la pensée et du savoir. Elle prend en compte l’objet technique et s’inscrit de fait dans une culture technique qui vise à une compréhension de l’objet technique, et non à un simple usage ou à une mythification de cette dernière.
  • Celle historique des Lumières. Cette dimension avait été déjà abordée par Brigitte Juanals. Nous avons fait le choix de la développer en montrant qu’elle trouve des parallèles évidents avec la culture technique, notamment dans les planches et autres explications détaillées de l’Encyclopédie, qui permettaient au citoyen éclairé, de refaire et de mieux faire. L’autre dimension des Lumières provient de l’exercice de la citoyenneté, du courage et de l’effort d’user de son entendement comme le recommande Emmanuel Kant.

Ces permanences peuvent évidemment être recoupées. La première relation évidente est celle de la formation et de l’éducation. Elle se retrouve évidemment dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, mais également dans le volet pédagogique de la documentation, présent d’ailleurs dans l’étymologie du mot document. De même, en ce qui concerne la culture technique, elle demande une démarche de formation, dépassant la seule logique de l’usage pour aller vers celui de l’abstraction et de l’innovation. Il s’agit non seulement d’apprendre mais surtout de comprendre.
Nous souhaitons également rappelé que la technique est constituante de la pensée et de l’apprentissage et que c’est justement la maîtrise de ces techniques qui conditionne l’accès à la majorité. Une majorité qui est à la fois technique et citoyenne et qui peut se définir comme étant la capacité à avoir une vue d’ensemble, à la fois en s’extrayant par moment « au dessus de la mêlée »[2].
 
Certes, malgré le constat de ces permanences et héritages, il faut peut-être distinguer l’expression « culture de l’information » et ce qu’elle recouvre vraiment. Pour le dire familièrement, le contenu du pot prime sur l’étiquette. D’autres expressions peuvent à nouveau émerger avec des objectifs proches. Cependant, il nous semble qu’il y a un risque fort à cette valse des étiquettes, celui d’entrer dans des logiques proches du marketing, générateurs tout autant de discours que de bons sentiments mais n’aboutissant pas à de réelles actions.
Dans cette diversité d’expressions proches, celle de culture de l’information conserve notre préférence. Outre le travail scientifique amorcé par plusieurs chercheurs en sciences de l’information et de la communication et notamment celui de Brigitte Juanals, l’expression de culture de l’information possède des atouts . Nous songeons notamment aux distinctions que nous avons effectuées avec la culture informationnelle et aux rapprochements entre culture et littératie afin de voir la culture de l’information comme une traduction-évasion (une trahison nécessaire) d’information literacy et comme développement de sa conception citoyenne.
Par conséquent, nous ne partageons pas tout à fait l’idée qu’évoque Brigitte Juanals[3] d’un passage d’une culture de l’information à une intelligence informationnelle qui se rapporte surtout à l’échelon individuel.  De plus, le terme d’intelligence nous semble un territoire d’expression qui implique sans cesse la distinction tandis que sa dimension collective, que consacre l’expression d’intelligence collective, demeure toujours quelque peu utopique.
La durabilité d’un projet et d’un concept s’inscrit autant dans l’analyse de ses origines et de ses permanences que dans les enjeux actuels et futurs. Il ne s’agit pas de répondre seulement à des problèmes actuels sous peine d’élaborer des pansements intellectuels et éducatifs, des cache-misères, de simples pharmaka utiles dans un laps de temps restreint et qui finissent par accroître le problème au final.
Voilà pourquoi nous avons à plusieurs reprises dénoncé les visions reposant sur l’apprentissage superficiel d’outils étant amenés à évoluer voire à être remplacés par d’autres.
Au regard de ces « permanences », la culture de l’information apparaît comme une culture globale. Il convient également de s’interroger sur ces spécificités.
 
 



[1] FOUCAULT, Michel. L’archéologie du savoir. Paris : Gallimard, 1969, p.170
[2] Nous songeons également dans l’emploi de cette expression au roman de Romain Roland.
[3]B. Juanals.La circulation médiatique des savoirs dans les sociétés contemporaines. Habilitation à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication : Université de Paris 7 Diderot, 2008 ., p. 123