La version audio à podcaster.
« Ce qu’on apprend ajourd’hui sera inutile en 2050 ». La formule a été reprise à partir des propos de Yuval Harari.
Et bien je pense que c’est l’inverse. Il est probable alors qu’on s’interroge sur les programmes et les savoirs du lycée, qu’un lycéen du siècle dernier et peut-être même du siècle encore d’avant, était mieux armé que ceux actuellement.
Le lettré du digital, ainsi l’appellerons-nous, ne vit pas dans un monde totalement en rupture avec les anciennes pratiques.
Nous ne vivons pas non plus dans une révolution permanente faite de tabula rasa, et qu’il faudrait tout réapprendre et tout recommencer.
Ce n’est donc pas à mon avis que ce qu’on apprend aujourd’hui sera inutile en 2050, mais plutôt ce qu’on apprend actuellement est insuffisant et pas du tout au niveau. Pire que cela, ce n’est pas cohérent et cela témoigne d’une absence de vision à long terme.
Je serai même tenté de dire que vouloir se mettre sans cesse au goût du jour a conduit à un saupoudrage avec le développement d’éducation à, certes nécessaire, mais trop souvent marginalisée, car il faudrait mieux intégrer leurs contenus.
Pire encore, les effets de modernité et d’égalitarisme conduisent à supprimer ou à négliger certains contenus du fait de programmes élargis, mais aussi parce que ses contenus nécessitent des formes attentionnelles longues et des répétitions.
On a trop laissé à l’industrie des jeux vidéo le droit de nous faire refaire pendant des heures des actions similaires dans des environnements sympathiques au point que les exercices, les dictées, les résumés de texte deviennent des instruments peu prisés désormais… notamment parce qu’ils révèlent les difficultés et qu’ils opèrent aussi des logiques de hiérarchie entre élèves. Il est vrai une nouvelle fois qu’il est préférable d’annoncer son niveau dans un jeu vidéo plutôt que de dire son classement dans une matière.
Le paradoxe vient du fait que le temps scolaire est trop court. J’entends par temps scolaire, à la fois le temps institutionnel, mais aussi tout le temps nécessaire à la formation de l’esprit, mais aussi des corps, ce qui implique donc tout autant des compétences intellectuelles que techniques, que des compétences physiques que spirituelles.
Le temps passé devant des activités ludiques devant les écrans, ou tout au moins le temps d’attention sur ces dispositifs finit par dépasser sur une année le temps scolaire, et parfois de façon très nette.
Cela ne signifie pas qu’on n’apprend pas devant les écrans. Cela signifie que le pouvoir des industries des loisirs est écrasant sur ces dispositifs et qu’on peine à trouver les moyens d’en faire des instruments de formation. Trop souvent, on ne parvient guère à dépasser le cadre de la formation aux usages, alors qu’il faudrait former à une meilleure intégration culturelle.
Cela implique donc de travailler les passerelles entre les disciplines, mais aussi entre les exercices.
L’enjeu est de développer de nouvelles formes de production à évaluer. Cela peut être la réalisation de vidéos par exemple. Mais sur ce point, il faut rappeler qu’il ne s’agit pas seulement de savoir filmer et de savoir monter, mais aussi de produire un scénario, de faire œuvre d’imagination, mais aussi de démontrer une capacité à structurer l’information.
Or, cela ne peut se faire qu’à condition de s’exercer, de recommencer, d’améliorer, etc.
Je note que la plupart de mes étudiants ne savent pas faire de résumés et encore moins de dissertation avec des plans qui tiennent la route. Je ne parle même pas des commentaires de textes. Or pourtant, beaucoup ont obtenu des mentions au baccalauréat.
Autre point, ces aptitudes supposent de s’exercer, mais d’avoir les moyens de pouvoir comparer, c’est-à-dire d’avoir à disposition des références qui ne soient pas uniquement disponibles en ligne… c’est-à-dire d’avoir une culture, ce qui suppose d’avoir un langage qui permette d’exprimer des nuances et donc d’utiliser des synonymes, mais aussi d’avoir un minimum de références en littérature, cinéma, arts pour pouvoir mieux utiliser des exemples pour asseoir des raisonnements.
L’enjeu n’est donc pas uniquement celui de savoir coder. Il sera clairement nécessaire de développer un programme de formation au code pour mieux comprendre les logiques algorithmiques de base, mais aussi pour savoir mieux utiliser des outils statistiques.
Mais il faut conférer surtout les moyens de savoir décoder… tout autant les textes, les images, les vidéos, les sets de données et tout autre visualisation et tableau statistique.
L’art de la critique, de la mise à distance, suppose surtout des rapprochements, notamment entre littératie et numéracie. Il y a de la joie à lier, disait Giordano Bruno, et c’est bien l’enjeu, lier sans emmêler, lier sans être poings et mains liées. En ce sens, écrire les programmes sous l’influence des industries et thématiques dominantes du moment en matière de digital serait une grave erreur. Pire encore, serait de placer la donnée comme centrale en matière de formation au numérique, car justement l’enjeu n’est pas de placer la donnée comme centrale au niveau du système scolaire, ce qui serait un renversement inquiétant par rapport à la loi Jospin de 1989.
L’avenir de l’éducation s’inscrit donc dans un rapport entre tradition scolaire et anticipation, entre les travaux des prédécesseurs et ceux à venir. L’avenir de l’éducation est assurément steampunk plutôt que transhumaniste.
Pour finir sur une note poétique, on pourrait dire que l’enjeu est de former des citoyens qui s’inscrivent dans une lignée qui mêle poésie et code, métries et métriques en se souvenant que le premier code informatique a été écrit Ada Lovelace, fille du poète Lord Byron.
Source :
Les images sont issues du site unsplash.com .
Image mise en avant : Kevin Ku
Sur le lettré du digital, voir notamment cet article écrit avec Franck Cormerais.
Voir aussi cet article collectif.
Quelques idées sont développées dans la formation aux cultures numériques.
Chroniques neuromanciennes. 1. Le Pendule de Foucault
Je me lance dans l’audio en parallèle de l’écrit. Vous pourrez retrouver avec une certaine régularité (une fois par semaine ?) »les chroniques du neuromancien » en version audio sur youtube et en podcast.
Je mettrai à chaque fois sur le blog, le texte qui a servi de trame avec des éléments bibliographiques en sus.
Cette première chronique est consacrée au Pendule de Foucault d’Umberto Eco. En voici la vidéo :
La version audio sur soundcloud
La version texte :
C’est une première, après 19 ans de blog sur le Guide des égarés. J’ouvre une nouvelle période qui va consister en de courtes chroniques pour vous accompagner chaque semaine.
Les sujets seront divers, issus des cultures digitales mais aussi des cultures plus classiques. Le plus souvent, on mélangera volontairement les différentes approches. Il s’agit aussi pour moi de réutiliser ma voix en dehors des cours et des conférences.
Pour revenir sur les chemins de la radio que j’ai abandonnés depuis plus de 20 ans.
Alors pour débuter cette première chronique, je vous propose d’étudier quelque peu l’imaginaire complotiste à partir d’un roman d’U. Eco, le pendule de Foucault.
Umberto Eco écrit un roman où les protagonistes inventent un plan qui vise à expliquer tout ce qui s’est passé dans le monde depuis des siècles en intégrant tous les groupes de l’histoire, parmi lesquels figurent en bonne place les templiers. Ce qui semble être la réalisation d’un gigantesque jeu de rôles devient un complot sans limites auquel finissent par croire les inventeurs eux-mêmes. Même s’ils ne sont pas les seuls puisque bien d’autres finissent par accorder un crédit à cette histoire soit par qu’ils en sont convaincus, soit parce qu’ils peuvent s’intégrer parfaitement à une histoire qui semble faire sens.
Eco avait affirmé dans un entretien au Monde en octobre 2010 que désormais :
« A l’avenir, l’éducation aura pour but d’apprendre l’art du filtrage »
Ce conseil ou avertissement prolonge l’objectif du roman qui était de démontrer les racines et l’imaginaire des théories du complot voire d’en démontrer la construction, le ridicule et la perdition auquel il peut mener. On sait que le roman à l’inverse a provoqué l’envie d’en savoir plus sur les théories et références auxquels faisait référence. Le lecteur du pendule de Foucault connaissait à l’avance toute la trame du Da Vinci Code par exemple, à la fois par la lecture du roman, mais aussi parce qu’il avait été lire d’autres références.
Eco a produit comme bien souvent dans ses romans, un travail multiréférentiel, même s’il y a ici un gros effort de sourcer avec pas mal de citations en exergue des chapitres. Seulement, il est parfois difficile de savoir si cette citation est finalement un conseil de lecture… ou s’il s’agit de montrer le ridicule et l’insensé de la citation.
Un des personnages du roman se nomme Casaubon… ce qui est une référence que ne peut comprendre que le lecteur cultivé. J’avoue ne pas avoir repéré les références lors de mes premières lectures du roman… car oui, le roman d’U. Eco fait partie de ceux qu’il faut lire à plusieurs reprises pour en maîtriser toutes les arcanes.
Casaubon est surtout une référence à Isaac Casaubon, ce philologue, c’est-à-dire ce spécialiste de l’analyse des textes et des documents, capable d’en comprendre le sens et les références, mais aussi d’en démontrer la fausseté ou le caractère apocryphe.
Le pendule de Foucault nous place donc à dessein dans une « guerre du faux » dont on comprend mieux désormais les ressors dans la guérilla informationnelle de notre époque.
Mais revenons au Pendule de Foucault et à ses personnages.
Le narrateur comprend au fur et à mesure qu’il est entré dans une forme de distorsion de la réalité qui repose sur une confusion entre capacité à raisonner et agitation de l’esprit. Les réseaux sociaux actuels semblent hélas privilégier nettement cette agitation de l’esprit ou stultitia comme la qualifie Michel Foucault.
« Un procès plein de silences, de contradictions, d’énigmes et de stupidités. Les stupidités étaient les plus voyantes, et, dans leur incompréhensibilité même, coïncidaient en règle générale avec les énigmes. En ces jours heureux, je croyais que la stupidité créait de l’énigme. L’autre soir, dans le périscope, je pensais que les énigmes les plus terribles, pour ne pas se révéler comme telles, prennent l’apparence de la folie. Mais à présent je pense que le monde est une énigme bienveillante, que notre folie rend terrible, car elle prétend l’interpréter selon sa propre vérité. »
Cette logique s’observe dans les méthodes qui reposent sur des formes d’érudition schizophrénique ou improbable, une collecte qui rassemble façon puzzle des éléments épars pour leur donner un sens. Ce n’est pas de la recherche mais du storytelling :
« La reconstitution nous prit des jours et des jours ; nous interrompions nos travaux pour nous confier la dernière connexion ; nous lisions tout ce qui nous tombait sous la main, encyclopédies, journaux, bandes dessinées, catalogues de maison d’édition, en diagonale, à la recherche de courts-circuits possibles ; nous nous arrêtions pour fouiller les éventaires des bouquinistes ; nous flairions les kiosques ; nous puisions à pleines mains dans les manuscrits de nos diaboliques ; nous nous précipitions au bureau, triomphants, en jetant sur la table la dernière trouvaille. »
Quelque part, on pourrait considérer qu’il s’agit en quelque sorte du versant malin de la pensée hypertextuelle. On créé du lien parce qu’il semble possible d’en faire un, mais la qualité du lien et sa légitimité ne sont guère avancés :
« Lorsque nous échangions les résultats de nos imaginations, il nous semblait, et justement, procéder par associations indues, courts-circuits extraordinaires, auxquels nous aurions eu honte de prêter foi – si on nous l’avait imputé. » (Eco 1990 p.474)
Cette logique me paraît dominante actuellement, d’autant qu’elle s’accompagne de plus en plus de documents partiels ou révélés au bon moment.
C’est la puissance même d’une pensée complotiste
«Quoi qu’il en fût, et quel que fût le rythme, le sort nous récompensait, parce qu’à vouloir trouver des connexions on en trouve toujours, partout et entre tout, le monde éclate en un réseau, en un tourbillon d’affinités et tout renvoie à tout, tout explique tout.. »
L’état de veille généré permet en effet d’accumuler, de percevoir ce qui était invisible avant, de faire prendre sens à ce que le commun des mortels ne voit pas ou ne comprend pas, ou plutôt ne veut pas comprendre, car il n’a pas reçu la lumière et qu’il croit ce que lui racontent ses gouvernants ou directeurs de conscience. Les théories du complot fonctionnent souvent comme une libération ou comme une capacité à s’extraire des principaux discours médiatiques. C’est bien pour cela qu’une éducation aux médias simpliste risque de produire une augmentation de la pensée conspirationniste.
Mal maîtrisé, ce n’est pas l’accès à la majorité de l’entendement que souhaite Kant qui va se produire, mais l’accès aux ténèbres de l’esprit, un monde chtonien dans lesquels le Chtulluh de l’esprit réside et conduit aux pires extrémismes et manipulations.
Le comble du conspirationisme est le fait de finir par se manipuler par soi-même dans une logique qui ne repose pas sur la recherche de la vérité ou de faits établis, mais la quête d’une vérité cachée qui repose sur des acteurs mensongers et dangereux. Toute pièce qui paraît accrédite le puzzle est alors ajoutée sans discernement au point qu’on y mélange sans vergogne le vrai et le faux et que les plus grands manipulateurs sont bien souvent ceux qui prétendent dénoncer les grands mensonges :
« – Mais vous avez dit vous-même qu’ils étaient faux, dit Belbo.
– Et alors ? Nous aussi sommes en train de bâtir un faux.
– C’est vrai, dit-il. J’allais l’oublier. » ( Eco 1990 p.398)
Références :
Pour poursuivre en vidéo cette chronique, vous pouvez voir mon intervention d’une heure sur le sujet « littératies et évaluation de l’information » lors de l’école d’été de Montréal sur les fausses nouvelles à l’UQAM, organisé par le Comsanté et Alexandre Coutant.
L’ère des guérillas informationnelles
Ma présence sur les médias sociaux me permet d’être embarqué dans des flux et des discussions qui sont autant des pertes de temps que des enseignements indispensables.
Cette présence au sein de la mêlée est essentielle sous peine de ne pouvoir réellement comprendre ce qui s’y trame, les modes de fonctionnements, les évolutions techniques, informationnelles et communicationnelles qui se produisent depuis une dizaine d’années. Je suis sur Twitter depuis 2007. Ce n’est plus le même réseau qu’en 2007. Le réseau était alors relativement pacifié, je dis bien, relativement, car c’était une cour de récré ce qui n’excluait pas les bagarres, les discussions un peu lourdes, les blagues de potache et autres subtilités.
En 2007, Twitter était majoritairement anti-sarkozyste, on accueillait Frédéric Lefebvre comme il se doit (voir aussi en 2011°), et tout était assez drolatique finalement. Le côté sérieux venait des blogosphères notamment politiques qui se retrouvaient sur Twitter. J’ai envie de dire, que cela s’est quelque peu inversé. On avait besoin du blog pour avoir un positionnement sur Twitter, c’est désormais l’inverse.
L’extrême-droite était peu présente, la droite essentiellement pro-Sarko avec quelques idolâtres, phénomène classique lors de l’arrivée d’un nouveau président.
La cour de récré s’est transformée en gigantesque champ de bataille permanent où la moindre personne sensée peut se transformer en gladiateur de l’information. Si Bruno Gaccio affirme que les guignols ne sont plus nécessaires désormais, car il y a suffisamment de vannes sur Twitter, ce serait effectivement plutôt sympathique. Mais ce n’est hélas pas que cela. Le côté autodérision et dégonflage d’égo des premiers temps sur twitter – on se faisait toujours gentiment remettre en place, car cela faisait partie du jeu – a glissé vers une forme de méchanceté. On est passé clairement de la remarque bienveillante à de la malveillance exacerbée.
L’extrême droite avait saisi rapidement l’intérêt de se positionner en jouant sur les registres de l’émotion, de la vérité potentielle (« cela semble plausible, cela correspond à mes représentations, donc c’est tout à fait possible ») et donc de la désinformation.
La blogosphère et twittosphère majoritairement à gauche avec quelques éléments qu’on pourrait qualifier de centriste (même si je maintiens que ce concept de centre est une erreur autant intellectuelle que politique, ce que j’avais pu exprimer lors de mon bref passage en blogueur politique sous le nom de Pharmakon durant la période Modem) dans les années 2007-2009 se sont vus concurrencées par une fachosphère montante, décomplexée et débridée. Ce positionnement a fait exploser le consensus antisarkoziste qui existait en 2007 et a abouti à un éclatement des positionnements qui frisent la caricature et la radicalisation de toute part.
À titre personnel, il est souvent bien difficile de résister aux réactions puériles et partisanes. Seule solution : conserver une time-line la plus ouverte possible. Je dois admettre que j’évite de suivre sur Twitter les positions nationalistes néanmoins.
La montée en puissance de la stratégie de l’extrême-droite a conduit, à mon avis, a une volonté de réaction similaire de l’extrême-gauche avec un hyperactivisme et la mise en circulation d’informations tout aussi douteuses, ou de mauvaise foi la plus totale, et ce depuis une bonne année.
On peut constater que l’électorat de centre-gauche, centre-droit est parfois tenté désormais de réagir de même en amplifiant la moindre information contre les concurrents. Le phénomène est plus récent, mais ne peut qu’inquiéter à l’approche des prochaines élections européennes.
Nous sommes entrés en guérilla informationnelle tous azimuts avec tout un écosystème informationnel bordélisé, avec des remises en cause permanente des uns et des autres ; avec les journalistes au centre, qui sont tantôt encensés, tantôt critiqués selon les circonstances.
On retrouve une offre informationnelle élargie mais dont on ne possède pas les codes. C’est plutôt bien d’avoir finalement l’émergence de nouveaux médias même s’ils sont clairement politisés. Ce n’est pas foncièrement nouveau. Ce qui est gênant, c’est qu’on entre dans un système médiatique qui cherche surtout à dénoncer plutôt qu’à analyser, car il faut faire du buzz plutôt que de produire une information de qualité. Je ne suis donc pas si certain effectivement que ce soit toujours la vérité qui soit véritablement recherchée, mais il me semble que c’est surtout l’erreur qui devient l’objet principal de la recherche. C’est un passage très classique dans la tension entre indexation des connaissances et indexation des existences. Je me demande si la presse n’est pas tentée d’y céder à son tour.
On va passer un temps infini sur la moindre petite affaire désormais et paradoxalement s’éloigner de la piste du journalisme de données qui semblait pouvoir émerger. Visiblement, nous ne sommes pas assez mûrs pour ce genre de perspective, car cela nécessite de nouvelles compétences chez les journalistes, mais surtout de nouvelles chez le lectorat.
Pour l’instant, on voit surtout des graphiques souvent biaisés pour tenter d’expliquer un phénomène économique. À ce niveau-là, certains économistes français peuvent continuer à vendre des bouquins prétendument hérétiques.
On avait déjà observé lors du referendum sur le traité européen une influence du web sur le résultat avec pas mal de désinformations et la découverte que l’Union Européenne s’était fondée sur des principes libéraux.
Il faut désormais s’attendre au pire dans les prochains mois.
Sur ce point effectivement, nul besoin d’avoir le soutien de bots russes pour que l’on continue à nourrir le populisme le plus total aux bénéfices des autres grandes puissances qui n’attendent que cela.
On peut donc s’attendre à des attaques ad hominem, à ce que l’on cherche la moindre bévue chez les politiques en place dans les gouvernements, mais par ricochet chez les députés et membres de l’opposition… mais encore sur le moindre journaliste suspecté d’être partisan.
Alors que faire ?
Si la loi dite « fake news » semble avoir du plomb dans l’aile, je reste persuadé qu’il faut légiférer sur la question notamment pour respecter la dimension citoyenne de la culture de l’information, décrite en 1976 par Major R Owens avec la nécessité que l’information literacy permette à l’électeur de pouvoir faire un choix politique en ayant tous les éléments à sa disposition.
Je sais que ma position est minoritaire à ce niveau parmi les universitaires, mais je crois travailler depuis suffisamment longtemps sur ces questions pour dire que la formation n’est pas suffisante pour éviter la désinformation. Même en renforçant l’EMI, on n’ y arrivera pas, car il faudrait vraiment un programme sérieux, ambitieux et sur de longues durées pour y parvenir. Pire, à mon avis, un saupoudrage EMI peut augmenter le risque complotiste (voir dans l’article pour mediadoc mon tableau sur les proximités qu’il peut y avoir parfois).
Autre point, je vois beaucoup de professionnels de l’information et des universitaires relayer des informations fausses ou bidons. J’ai moi-même retweeté (non sans avoir hésité) la fausse mort de journaliste ukrainien qui n’était en fait qu’une mise en scène.
Alors que faire ? ou plutôt qui doit le faire ? Qui doit vérifier l’information ?
Les index n’appartiennent plus aux sphères bibliothéconomiques et documentaires, mais de plus en plus aux acteurs comme Google et Facebook qui s’appuient parfois sur des équipes de journalistes décodeurs pour tenter de vérifier l’information.
Les pistes algorithmiques et d’intelligence artificielle voir de deep learning sont également évoquées, mais bien souvent il s’agit d’extrapoler à partir de travaux humains qui fournissent des index.
Cette multiplication des guérillas informationnelles ne peut que désarçonner de plus en plus les autorités traditionnelles et notamment gouvernementales qui ne savent plus comment réagir et qui multiplient ainsi les erreurs dans le genre « à toucher le fond, mais creuse encore ».
Voilà, pour cette réaction un peu rapide, à plusieurs éléments que je tente d’analyser depuis quelques années et qui devraient trouver suite dans le prochain ouvrage (un essai) que je suis en train de rédiger et pour lequel je cherche d’ailleurs un éditeur.
Je reviendrai ici sur des pistes potentielles face à l’infocalypse…
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Hommage à Robert Escarpit : Bob is Back !
Un petit texte écrit dans le cadre du concours 2016 des 50 ans des IUT. J’avais pour l’occasion écrit une nouvelle dédiée à Robert Escarpit.
Je la publie ici en rappelant que va se tenir un important colloque prochainement sur cet acteur des universités et des SIC.
Voici donc ce texte : Bob is Back (en Bob is back)
Bob is back
Rouletabosse s’ennuyait. Son créateur était parti depuis trop longtemps. Il ne pouvait demeurer plus longtemps sans pouvoir déambuler, son petit carnet à la main, pour pouvoir prendre des notes. Il aimait tant faire son travail de journaliste, même s’il devait continuer pour cela à subir les brimades de son rédacteur en chef, l’as du ciseau qui lui réduisait ses articles à la portion congrue. Toute cette ambiance lui manquait, peu importe ce que son créateur avait prévu pour lui. Il voulait vivre à nouveau et toucher des lecteurs qui ne le connaissaient plus depuis bien de trop longtemps.
Il n’était plus qu’un personnage en quête d’auteurs, prisonnier des souvenirs de trop rares lecteurs qui se souvenaient de lui. Robert Escarpit s’en était allé vers d’autres aventures et il n’était pas prêt de revenir. Pourtant, il y a 50 ans, c’était bien différent, Robert impulsait le développement des premiers IUT du tertiaire à Bordeaux avec des formations en journalisme et en animations sociales. Dans les années 80, il fit naître un petit être étrange : Rouletabosse, un journaliste bossu qui devait sa silhouette étrange au fait qu’il était toujours en train d’observer ce qu’il voyait au point d’être toujours courbé. Rouletabosse avait ainsi pu prendre vie au gré de l’imagination de son auteur aujourd’hui disparu. Mais depuis aucune aventure ne lui avait été proposée.
Quelle injustice de se trouver ainsi coincé alors qu’il n’aspirait qu’à reprendre du service !
Certes, il est vrai, il n’était qu’un personnage de fiction mineure destinée à la jeunesse. Loin de lui l’idée de vouloir s’échapper pleinement de son contexte initial de production comme Sherlock Holmes. Il n’avait pas cette prétention. Il espérait qu’un auteur quelconque finirait par lui donner une seconde chance et quoi de mieux qu’un concours de nouvelles pour reprendre vie ? Et Rouletabosse était malin, il avait su se placer idéalement pour être le passager que l’auteur prend en stop alors qu’il élabore son chemin d’écriture. Impossible de ne pas céder à sa demande.
C’est ainsi que Rouletabosse vient prendre place à mes côtés dans cette aventure pour mieux me raconter ce qu’il avait envie de dire et d’écrire :
« Il faut que je te parle de Robert. J’aimerais que tu le fasses revenir… »
Le petit bonhomme, à l’embonpoint certain et à la moustache malicieuse semblait bien sûr de lui. Je savais que lui répondre d’autant que Rouletabosse avait un accent assez prononcé, accent que je n’avais guère soupçonné auparavant. La mission paraissait complexe. Je ne connaissais pas particulièrement Robert. Je ne le côtoyais qu’à l’occasion de lectures au cours de recherches, puisant çà et là, réflexions et citations opportunes. Robert était de plus en plus l’Escarpit des sciences de l’information et de la communication, et de moins en moins celui des aventures du reporter Rouletabosse.
Pourtant, il fut un temps où cela fut différent. Au commencement d’ailleurs. Je m’en souviens encore. Ce n’était qu’une « prise » de bibliothèque alors que je devais avoir 8 ou 9 ans. Je visualise encore parfaitement l’endroit dans les rayonnages où se trouvait le livre qui m’a fait connaître Rouletabosse. L’illustration de couverture m’avait intrigué tout autant que le nom du personnage principal. Je n’avais pas saisi l’allusion à Rouletabille de Gaston Leroux que je découvrirais plus tard, même si mon père m’avait fait remarquer la similitude lorsqu’il me vit lire le petit roman de Robert Escarpit. Du contenu exact, je ne m’en souviens guère, si ce n’est que l’ouvrage était relativement drôle, que les illustrations jouaient à merveille leur rôle et que l’histoire mettait en scène un petit journaliste sans grande envergure au sens figuré, mais qui en avait davantage au sens propre. Je me souvenais également que le pauvre Rouletabosse menait ses reportages avec une certaine rigueur, muni de son carnet et de son stylo. Mais ce qui m’avait le plus marqué dans cette histoire et que je n’ai jamais oublié, c’était le terrible sort que faisait subir à ses articles, le terrible rédacteur en chef. Ce dernier usait à l’envi du ciseau pour réduire les articles au strict essentiel pour qu’ils puissent être intégrés dans le journal à la portion congrue. Étonnant qu’un personnage si épais ne puisse finalement réaliser que de si minces articles. Voilà pourquoi je n’ai jamais oublié Rouletabosse et donc son auteur, tant j’ai étroitement associé les deux noms pendant des années sans en savoir plus.
Ce n’est donc que plus d’une décennie plus tard que j’ai entendu à nouveau parler d’Escarpit. Mais cette fois-ci, il ne s’agissait plus de Rouletabosse du tout. J’étais à l’université Rennes 2 et Escarpit figurait parmi les références citées dans la mention documentation de ma licence d’histoire. Il me fallait sortir Escarpit du tiroir de la littérature jeunesse dans lequel je l’avais enfermé avec le souvenir de l’emplacement du petit roman dans la bibliothèque du quartier de mon enfance. Robert Escarpit était donc plus que cela. J’avoue que j’avais aussi un peu de mal à comprendre qu’on avait oublié qu’il avait également donné à vie à Rouletabosse lorsqu’on évoquait ses écrits d’enseignant-chercheur. Jeune étudiant, le souvenir de Rouletabosse demeurait et s’avérait aussi important pour moi que les écrits plus scientifiques de Robert Escarpit.
Les années ont passé. Bientôt 20 ans après ma seconde rencontre avec Robert et 30 ans après la première. Un homme n’est jamais le même selon l’époque où on le rencontre…
La proposition de Rouletabosse paraissait quelque part irréalisable tant il s’agissait de faire de moi l’intermédiaire d’un personnage qui souhaitait faire revivre son auteur. Auteur, Escarpit l’était assurément, mais c’était réduire en un mot un individu qui avait été également professeur, chercheur, conteur, analyste, affabulateur, engagé, encarté, écarté, écarteur, visionnaire, aveuglé, romancier, traducteur, démocrate, tyran, mari, séducteur, créateur, fondateur, instituant, rebelle… mort, mais encore vivant dans les souvenirs et les écrits.
Comment parvenir à faire revivre ainsi un tel personnage ? Rouletabosse paraissait jubiler de ma difficulté à appréhender le problème. Il souriait en coin et sa moustache s’allongeait de plus en plus et semblait se trémousser. Rouletabosse reprenait vie, c’était certain, et il manifestait une joie certaine quelque peu communicative. J’avais également envie de rire, tout en me demandant s’il fallait considérer le rire comme une forme de communication équivalente à celles qui prétendent pouvoir converser avec les morts. C’est alors que mû par cette soudaine hilarité, je me pris d’interpeller Escarpit :
« Escarpit, escartefigues, voilà à quoi ton nom me fait penser ! Escarpées, voilà les promesses que portent ton nom, escarres, scarifications, escarrifications, carpe diem, pitre et Pit et Rik, pittoresque, sempiternelles fourberies de Scapin, scapulaire et autres aventures du capitaine Fracasse, que ton nom dissimule tant de personnes. Laquelle osera me répondre ? »
Ma litanie insensée ne produit aucun effet, et je n’obtins évidemment aucune réponse d’outre-tombe. Cependant, Rouletabosse, l’œil vif ne cessait de prendre des notes. À croire que l’audacieux personnage menait l’enquête sur moi !
Je cessais d’interpeller Escarpit pour glisser à Rouletabosse :
« Tu veux venir à l’IUT ? »
Rouletabosse se contenta de faire briller ses yeux en guise de réponde. Je le menais alors dans les lieux dans lesquels j’exerçais depuis près de cinq ans. Ce n’était pas l’IUT originel bien entendu, mais l’esprit de Robert y était tout de même présent. Certains avaient sans doute tenté de poursuivre son œuvre, quelques-uns de façon modeste, les épigones de façon médiocre, certains ne parvenant jamais à comprendre la dimension des sciences de l’information-communication, lui préférant l’étroitesse d’une pensée convenue. Et Rouletabosse qui notait inlassablement toutes mes remarques, courbant son dos pour mieux griffonner toutes mes élucubrations sur Robert et ses disciples. Il me suivait alors que nous parcourions l’IUT, courant dans l’étrange escalier à ma suite alors que j’essayais de grimper en ayant l’air d’un imbécile à grands pas. Je voulais le mener du côté de mes milieux d’exercices, territoire de l’information-communication, l’infocom où se mêlent finalement comme l’avait sans doute pressenti Robert tout autant l’ivraie communicationnelle que le faux comme, ainsi que tous les aspects de l’informel et du formel, de la formation et de la déformation, du livre et de l’ivresse, du support et de l’insupportable, du document et du monument, du commun et de l’incommunicable, de l’information et de la désinformation, de l’ire et de l’erreur, de l’autorité et de l’autoritarisme, de la médiation et du remède, de l’antidote et du poison, de la lecture et de l’écriture, de Rouletabille à Rouletabosse, du journaliste au blogueur…
Rouletabosse s’arrêta soudain, l’air intrigué et curieux :
« Du quoi ?
- Du blogueur, mon cher Rouletabosse. Il va te falloir te mettre à la page, si je puis me permettre. Tu devrais passer une année ici pour te former !
- Mais qu’est-ce donc ?
- Un blogueur est une personne qui écrit et produit du contenu en ligne sur une plateforme dédiée qui enregistre ainsi ce qu’il écrit plus ou moins régulièrement. Cela signifie web log en fait… tant de noms qu’il va te falloir apprendre, toi qui as connu le succès dans les années 80 : Internet, web, web 2.0, réseaux sociaux, digital labor, tags, likes, surveillance, cookies, spam, mashups, API, onepage, WordPress… »
Je m’élançais dans une liste sans fin comme si je lui exposais ou plutôt explosais à la figure une série de noms qui constituaient autant de savoirs et de compétences qu’il ignorait complètement.
Rouletabosse rapetissait à mesure que j’exposais ces étranges évolutions et ce vocabulaire inqualifiable pour lui.
« Il est venu le temps des humanités digitales, mon cher Rouletabosse ! »
Le petit journaliste ne souriait plus. Pire, il commençait à transpirer et je commençais à sentir sa sueur empreinte d’angoisse, qui en devenait assez désagréable.
Désormais, totalement à l’aise, j’avais l’impression d’être devenu le rédacteur en chef du petit journaliste, sauf que ce n’était pas son texte que je réduisais, mais bien le journaliste lui-même… J’osais même en rajouter de façon suffisante :
« Que veux-tu, il s’en est passé en 50 ans ! Joyeux anniversaire, mon petit Rouletabosse ! »
Je compris que j’avais été un peu loin. Le petit être de papier était en train de se dissoudre, tel un vieux parchemin aux proies aux flammes. J’essayais de me raisonner, et que tout cela n’avait aucun sens. Je cherchais en vain de l’aide, mais personne ne semblait être présent dans l’IUT. Cela ne pouvait être vrai, je tentais de sortir de ce que je pensais être un mauvais rêve. Mais ça n’était pas le cas. Je ne me souvenais plus comment j’étais arrivé à l’IUT, et comment j’avais pu y mener avec moi le reporter bossu si ce n’est pas la force de l’esprit.
Rouletabosse s’était consumé au point de n’être plus qu’un amas de confettis brûlés… comme autant de souvenirs éparpillés. Qu’avais-je donc fait !
Pris par un remord absurde, je tentais de recueillir ce qui restait du petit être comme s’il était encore possible de le reconstituer. J’affleurais avec mes doigts les petits bouts de papier cramés, dans l’espoir de les rassembler pour leur donner forme à nouveau. Un carré noir par-ci, un autre moins noirci par là. Je ne savais quel était le sens que je cherchais, mais tout compte fait, mes manipulations finirent par produire un effet. J’étais parvenu à reconstituer le visage de Rouletabosse. Je l’avais recréé tant bien que mal. Une dernière touche finale, et un nouveau Rouletabosse apparut comme par magie. On aurait dit SuperMario surgissant d’un horizon perdu… Le petit journaliste reprenait vie, rassemblait ses pixels et se mettait à descendre et remonter les marches de l’IUT avec une facilité déconcertante. Il circulait telle l’information virale sur les réseaux sociaux avec une aisance qui contrastait avec son physique rondouillard. Je le vis alors partout. Il était sur tous les pc des salles informatiques, sur mon portable et sur tous les sites et réseaux sociaux que je tentais alors de consulter. Il se jouait des nouveaux mondes digitaux et je vis alors arriver des sucres d’orge de toutes les couleurs et autres joyeusetés sucrées qui se mirent à peupler l’IUT qui était en train de devenir une interface numérique, avec une esthétique issue des jeux d’arcade des années 80… Rouletabosse allait et venait et accumulait les bonus et les points à l’envi. Il semblait impossible à arrêter, mais l’envie de partir à sa suite finit par me gagner. Je parcourus alors l’IUT de Bordeaux Montaigne dans son intégralité, surfant sur des chamallows géants dans le plateau télé, chipant un nombre incalculable de nounours gélifiés à la bibliothèque, de guimauves en chocolat à la cafétéria, et volant dans les amphis sur des licornes en sucre. Je montais avec une aisance incroyable les escaliers en accumulant les points avec une facilité déconcertante. Je trouvais étonnant l’absence de collègues et d’étudiants certes, mais l’aventure valait le coup d’être vécue. Rouletabosse grossissait à vue d’œil au fur et à mesure qu’il engloutissait les uns après les autres bonbons et autres douceurs. À cette allure, je craignais qu’il ne finisse par éclater par péché de gourmandise. Mais au contraire, il gagnait sans cesse en agilité. Il s’éloignait de plus en plus de moi, au point qu’il m’était impossible de le suivre désormais. Je le vis devenir bleu, puis se diviser en une infinité d’unités… Des millions de Rouletabosse apparurent alors sur les médias sociaux, telle une campagne de marketing digital parfaitement orchestrée.
Je n’avais pas fait revenir Rouletabosse comme je le croyais. Il n’était qu’un intermédiaire, un messager, le missi dominici de son créateur. Le message qui faisait le buzz sur Twitter était pour moi éloquent et ne laissait aucun doute possible :
‘Happy Birthday ! Bob is Back !’
Onze mental : mon équipe de penseurs et auteurs, façon football.
Actualité oblige, et conscience footballistique totalement assumée, je me lance dans un petit billet sans prétention, qui me permet de rassembler passion populaire et passion intellectuelle.
On oublie d’ailleurs que certains intellectuels furent des footballeurs amateurs investis, rêvant de carrière professionnelle. On peut songer à Camus mais on oublie souvent que Jacques Derrida rêvait plus jeune de devenir professionnel avec le numéro floqué sur son maillot. Je n’irai pas jusqu’à dire que le 7 de Christiano Ronaldo est en fait inspiré du philosophe quand on sait que ce choix est principalement lié à Alex Fergusson.
Voici l’équipe que j’ai constituée à partir de mes influences et de mes manières de voir le monde.
Mon 11 de légende
La constitution d’une équipe nécessite évidemment une stratégie et des joueurs clefs pour réaliser l’animation. Le point clef est bien souvent le milieu offensif qui va donner le sens à l’équipe, la direction que l’entraîneur souhaite impulser. Certains de mes joueurs sont encore en activité dans ce 11.
À ce titre, il me paraissait évident qu’il me fallait positionner Michel Foucault en numéro 10, comme meneur du jeu.
Voici mon équipe type.
Gardien de buts : Albert Camus
Poste à mon sens essentiel et que j’aimais tant occuper dans ma jeunesse jusqu’à ce que me coûte un poignet le dernier jour de classe un premier juillet en jouant avec mes élèves. Un sens du placement et de l’anticipation, une capacité à placer sa défense, à prendre des initiatives et surtout la possibilité de rassurer toute son équipe (et par la même occasion les supporters) en assurant des sorties pour capter le ballon. Bref, il me fallait mon Fabien Barthez pour assurer les bases de mon équipe. Il était bien difficile de choisir quelqu’un d’autre que Camus qui a longtemps joué à ce poste et qui a plutôt influencé mes lectures adolescentes, durant mon collège notamment. On y retrouve aussi un positionnement politique et intellectuel souvent équilibré et méfiant vis-à-vis des idéologies même portées par des intellectuels, ce qui me convient parfaitement.
Défense centrale :
Umberto Eco qui d’ailleurs n’aimait pas trop les supporters ou tifosi ferait un bon défenseur central notamment, car il replace les bases avec un romantisme qui me sied parfaitement. L’intérêt d’Eco ici est de pouvoir bénéficier d’un défenseur qui sait se projeter vers l’avant si besoin, mais qui surtout possède une telle connaissance qu’il peut anticiper les différentes méthodes et combinaisons. C’est aussi une base de plus qui s’appuie sur différentes expériences. Un bon profil de capitaine potentiel également. Bref, une de mes tours de défense à la fois pour ses romans (Le Nom de la rose et le Pendule de Foucault) et ses différents ouvrages et articles (de l’arbre au labyrinthe plus particulièrement). Il est donc à coup sûr un élément indispensable à mon équipe.
Alan Liu constitue le second pilier de ma défense. J’ai toujours trouvé ce chercheur sur tous les territoires et domaines qui m’intéressent depuis les questions sur les littératies et la translittératie jusqu’aux questions sur les humanités digitales. Autant donc le placer comme base de mon équipe.
Latéraux
Paul Otlet comme latéral gauche dans la mesure où il tente toujours de sortir du rang et d’apporter du nouveau. Il associe rigueur défensive qui est celle de la normalisation des règles. Le père de la documentation associe à la fois norme et originalité, ce qui en fait un latéral gauche particulièrement intéressant notamment lorsqu’il tente d’avoir toujours un temps d’avance sur son adversaire.
Assez logiquement, j’ai positionné mon auteur favori Haruki Murakami sur l’autre côté, car il allie des qualités similaires qui sont celles du réalisme fantastique avec une rigueur dans l’écriture et une capacité à produire de l’extraordinaire à tout moment. Rien de mieux que d’être capable d’assurer une défense et en même temps de sortir des lignes pour amener de la folie et de la surprise. Rien de mieux qu’Haruki pour assurer ce rôle.
Milieux défensifs :
Jacques Derrida avec bien sûr le numéro 7. Ici aussi, on va retrouver une certaine complexité dans le jeu, notamment la capacité à repartir de la base pour aller de l’avant, bref une capacité à saisir les règles du jeu (la grammatisation du game) pour produire quelque chose de différent, en tout cas en se laissant la possibilité de jouer même si on sait qu’on n’invente jamais rien depuis zéro. Derrida reste un joueur qui peut donc faire la différance à tout moment, et des comme ça, il y en a peu.
Hannah Arendt comme milieu défensif, cela me paraît plus qu’évident. Il aurait été sans doute plus difficile de la faire passer à l’offensive, même s’il était tentant de provoquer un infarctus à Alain Finkielkraut non retenu dans cette sélection. C’est la joueuse qui est la mieux à même d’apporter de la rigueur et de la lucidité et surtout d’être indispensable lors des moments de crise !
Milieux offensifs
Michel Foucault apparaît ici central dans mon équipe. Une envie de comprendre ce qu’il se passe en offrant de nouveaux horizons, c’est le joueur d’exception qui a compris qu’il y avait différents types de règles et pas seulement les officielles. C’est celui qui voit les combinaisons invisibles aux autres et qui sait produire des relations qui font mouche en offrant des ouvertures qui mènent au but. C’est le joueur fort rare dont tout entraîneur rêve.
Mon autre base offensive est constituée par Michael Buckland, le chercheur en sciences de l’information qui m’influence sur les plans historiques, méthodologiques et conceptuels. Mon dernier ouvrage sur les humanités digitales lui est dédié. Il est donc tout naturellement mon autre milieu offensif, car oui, je préfère jouer en 4-4-2 avec deux milieux offensifs (influence Giresse-Platini)
Attaquants
Pas toujours aisé de distinguer des attaquants pour faire la différence.
J’ai eu plus de mal à trouver les perles rares. Et puis finalement, pour distinguer des attaquants potentiels qui ont réellement influencé ma pensée, j’ai choisi d’assumer de mettre en pointe un véritable footballeur : Eric Cantona. Je ne peux pas renier le fait que j’ai toujours suivi sa carrière et ses modes de fonctionnement depuis que j’ai 9 ans et que je l’ai découvert en équipe de France espoirs, la boule à zéro, suite à un pari perdu. Les paris perdus, je connais un peu… ça m’a permis d’écrire certains articles que je ne renie nullement. Eric Cantona a toujours été bien plus qu’un footballeur, et c’est en ce sens qu’il figure ici. Cantona, c’est aussi celui qui peut devenir gardien, car le titulaire du poste est expulsé à quelques minutes de la fin (vous me direz Papin aussi…) et l’essentiel est bien de pouvoir se mettre à la place de l’autre pour mieux comprendre le monde pour changer de point de vue. Le choix de Cantona, c’est d’assumer aussi le fait de prendre des risques et de pouvoir réellement en subir les conséquences.
Quoi de plus logique dès lors de l’accompagner d’un auteur et chercheur britannique, David Lodge pour mieux rappeler que le monde universitaire a beau se prendre au sérieux trop souvent, il n’en est pas moins un milieu à observer par lui-même et qu’il est préférable de faire les choses sérieusement sans pour autant se prendre au sérieux. Hommage au fait que le football et ses formes modernes ont été inventés par les Britanniques.
Bien d’autres auraient pu avoir leur place dans ce 11 de légende. Mais j’ai choisi de ne pas faire figurer de remplaçants même si j’avais de quoi faire une liste de 23.
La prochaine fois, je tenterai de faire mon équipe avec des chercheurs plus jeunes. Pour l’instant, j’hésite encore, trop de candidats potentiels semblent pouvoir prendre un carton rouge à tout moment…
A vous d’imaginer vos équipes idéales.
Humanités numériques scientifiques?
L’expression d’humanités numériques ou digitales est désormais à la mode dans une nouvelle acception. Si le territoire scientifique est sujet à débats, voire à controverses, on peut néanmoins considérer qu’il existe une forme de visions partagées entre les différents acteurs (voir aussi le manifeste du ThatCamp). Peu importe, qu’on les appelle Humanités digitales ou Humanités numériques.
Il y avait déjà le fait que depuis quelque temps, le terme d’humanités digitales ne renvoie pas seulement aux sciences humaines et sociales reliées aux outils informatiques ou du web, mais à la transformation opérée par ces technologies sur l’humain lui-même. Ce qui bien sûr concerne les questionnements et les avancées technologiques autour des NBIC, des théories de l’Homme augmenté, et du transhumanisme.
Depuis quelques années de façon assez logique, les humanités digitales se posent en matière de formation et notamment de façon plus précoce. Comment former à ces aspects au sein des cursus universitaires, mais de plus en plus au sein des cursus du secondaire. Quels outils peut-on utiliser et introduire ? Qu’est-ce qu’on fait déjà qui pourrait s’inscrire dans cette logique ? Comment mieux former de façon à ce qu’on puisse opérer une progression qui évite de devoir tout répéter une nouvelle fois à l’université ? (voir aussi ici, le colloque sur le sujet de 2016) Bref, comment faire mieux que l’affreux B2I?
J’avais esquissé par le passé l’hypothèse d’un BAC H notamment pour renouveler la filière L. L’idée avait été reprise d’une manière différente du côté du Conseil national du numérique. Il avait été envisagé fut un temps qu’une mention soit créée de façon expérimentale autour d’un MOOC. Désormais, l’idée ressurgit avec un étrange attelage. Humanités numériques et scientifiques. C’est justement sur ces aspects que je compte précisément revenir. Pourquoi accoler numérique et scientifique ? De prime abord, cela semble renforcer une vision particulière du numérique, à savoir que l’angle choisi sera scientifique plutôt que la logique des usages voire des bons usages qui a prévalu jusque-là en dehors de la réintroduction des cours d’informatique. Cela donne aussi surtout l’impression qu’il faut comprendre le numérique de façon scientifique…sous-entendue, sciences dites dures ou exactes…ce qui vient de fait tisser une opposition au premier terme. Alors qu’on pouvait imaginer une alliance, il pourrait s’agir au contraire d’une mise sous contrôle des humanités. Je ne m’attarderai pas ici sur le terme d’Humanités qui a toujours posé quelques questions depuis le début, notamment parce qu’il est peu usité si ce n’est justement dans la traduction de digital humanities. On a fait le choix notamment dans la francophonie de considérer qu’il fallait prendre en compte le concept de manière large et non pas dans son sens ancien, en élargissant le concept aux sciences humaines et sociales. Il reste cependant qu’on pourrait aussi se demander si le concept d’Études digitales (digital studies) ne serait pas plus approprié, car il passe justement outre les anciennes divisions entre sciences dites molles et sciences dites dures, car l’enjeu est justement le rapprochement plutôt que l’opposition. Plus inquiétant à mon sens est donc ce choix de scientifique qui semble finalement ouvrir la brèche comme quoi il y aurait des humanités…non scientifiques. Cela signifierait que les lettres, l’histoire, la géographie seraient peut-être dans grand nombre de cas des disciplines non scientifiques. Or, c’est ici non seulement dangereux, mais clairement scandaleux. De plus, c’est historiquement faux. Pire, cela revient à considérer le numérique comme un territoire appartenant aux sciences exactes, sous-entendu à l’informatique (computer sciences). Du coup, l’expression ne réalise par un élargissement de perspective, mais bel et bien une réduction et une prise de contrôle de l’informatique sur les humanités…et sur le concept de numérique. Je l’ai déjà expliqué à plusieurs reprises, pourquoi ce concept de numérique me paraît désormais sous l’emprise d’un enjeu de pouvoir de la part des informaticiens au niveau scientifique et pédagogique, et des industries informatiques au niveau des actions de lobbying. J’ai tenté de montrer en quoi Digital me semble meilleur. Il est vrai que ceux qui l’utilisent le plus sont des acteurs du marketing qui tentent de reprendre le pouvoir sur les mots par ce biais. Dans tous les cas, les autres acteurs notamment ceux issus des sciences humaines et sociales sont rétrogradés au second plan. Or, l’enjeu est plus celui d’une alliance voire d’une recomposition. Cédric Villani a évoqué le fait qu’il fallait sans doute dans cet enseignement expliquer davantage l’algorithme. Je suis tout à fait d’accord, à condition justement de montrer qu’il ne s’agit pas que d’une logique mathématique ou informatique, mais bien de stratégies marketing et qu’il convient d’y répondre par des logiques politiques, citoyennes et informationnelles. Il me semble que l’idée est bonne, mais que sa mise en œuvre pourrait être un échec s’il n’y avait pas une discussion équilibrée sur ces aspects. Il reste bien d’autres points obscurs sur ces questions. Quels seront les enseignants ? Si c’est pour réduire le cours à de l’informatique et du code, c’est l’échec assuré compte tenu de l’ambition qui semble être tracée. Si on envisage au contraire, différents apports disciplinaires et des projets qui les mêlent, on sera davantage dans l’esprit. Il ne faut pas réduire la formation au code, sans pour autant l’exclure. Je l’ai déjà montré, il faut autant coder, qu’encoder et décoder. C’est le leitmotiv d’une formation réussie. Avant d’esquisser un quelconque plan de formation, il faut faire des humanités numériques comme le dit Aurélien Berra, c’est-à-dire qu’il faut envisager une logique qui mêle réalisations et réflexions, savoirs et savoir-faire.
Réforme du bac : et si c’était déjà trop tard ?
J’ai souvent dit sous forme de boutade que lorsque le BAC serait supprimé ou totalement transformé via le contrôle continu, j’ouvrirai une boîte de certification de compétences sur le modèle SAT aux États-Unis.
Je crois en fait qu’il n’y a plus besoin d’attendre, tant finalement la signification même du BAC a évolué. On sélectionne de plus en plus à l’université de manière anticipée. C’est mon cas dans ma filière à l’IUT puisqu’on recrute sur dossiers. Les cris d’orfraie quant au processus de sélection sont à ce titre une gigantesque blague. Il faudrait plutôt s’interroger sur les conditions de la sélection et se demander ce qui est le plus juste au final. De toute manière, l’évaluation et la sélection ne sont pas des sciences exactes.
On est confronté à des indicateurs dont il faut mesurer la confiance. Un bulletin scolaire n’a pas tout à fait la même valeur d’un établissement à l’autre, et une note n’a pas la même valeur d’un prof à un autre. Je précise que c’est également valable pour les référentiels des compétences. On n’a pas tous le même niveau d’exigence selon les compétences. C’est important, car ceux qui ont cru supprimer les aléas des notes par les systèmes des compétences n’ont à ce titre pas tout compris de la complexité du système.
Du coup, on se retrouve dans une situation qui va peu à peu faire sortir l’évaluation du système public, sauf si ce dernier réagit à temps et parvient à inclure des logiques de type blockchain (je dis bien de type, pas question de produire du bitcoin…) pour établir des logiques certificatrices à partir de productions et de travaux réalisés. Or c’est loin d’être évident, car cela signifierait qu’on aurait enfin réussi à développer des portfolios qui se poursuivent durant la scolarité (c’est pour l’instant un serpent de mer depuis plus de 10 ans), et cela signifierait qu’on introduise des mécanismes complexes d’évaluation qui repose sur plusieurs évaluateurs… et des évaluateurs qui ne soient pas uniquement des professeurs.
Bref, ce n’est pas gagné d’autant que les compétences ne sont pas stables. On a tous régressé au fur et à mesure du temps dans pas mal de domaines, par chance on a progressé dans d’autres… pour lesquels on n’avait d’ailleurs aucun diplôme.
Du coup, l’avantage est clairement dans l’optique libérale (voire ultralibérale) qu’on a d’ailleurs involontairement préparée avec nos référentiels de compétences mal maîtrisés. Ce n’est pas faute d’avoir dit à plusieurs reprises notamment suite à l’exemple catastrophiste du B2I qu’il y avait des risques…
Le système classique ne parvient plus à produire des évaluations de confiance, et honnêtement c’est déjà le cas depuis quelques années. On a à l’université des étudiants de BAC généraux avec mention qui ont un niveau d’écriture qui aurait été une barrière clairement éliminatoire pour obtenir le bac il y a 20 ans. L’augmentation forte des mentions au BAC depuis 4-5 ans est une preuve que le diplôme perd de sa valeur, à la fois en matière de savoirs, mais aussi en matière de valeur symbolique et spirituelle.
À ce niveau, on commence à partir sur des certifications Voltaire pour mieux mesurer le niveau de compétences réel en français, et ce n’est pas triste.
Les lycées et peut-être les universités sont en train de perdre leur pouvoir de délivrance non pas du diplôme, mais de la confiance associée au diplôme.
Alors on peut rester à un niveau sociologique de lutte contre les inégalités voire espérer comme Stéphane Beaud que des bacheliers professionnels puissent avoir une vie étudiante, mais on est quand même complètement à côté des réalités actuelles et futures à mon avis. On peut rêver à une université libre et ouverte évidemment voire qui ne délivre aucun diplôme… enfin certains syndicats souhaiteront qu’on le délivre à tous, mais franchement, cette université-là ne m’intéresse guère. Notamment parce que plus personne ne la financera… et parce qu’elle existe déjà en partie avec la somme des ressources disponibles gratuitement en ligne. On notera d’ailleurs que les universités américaines ont déjà pris de l’avance dans le domaine, pas seulement parce que l’anglais domine, mais aussi parce qu’elles obtiennent des financements plus importants que chez nous (plus d’argent public, plus d’argent privé et plus de frais d’inscription, etc.). Dernier point, il y a depuis longtemps une symbolique forte associée aux universités nord-américaines qui sont sélectives avec des réalités sociales discutables et notamment des effets d’endettement dévastateurs. Un modèle européen est sans doute à redéfinir.
Viennent se joindre à ce jeu, les gros leaders du web qui rentrent dans le jeu de la formation. J’ai commencé à écrire un roman d’anticipation sur le sujet que je dois sortir depuis 5 ans. La réalité va bientôt dépasser la fiction.
On est donc entré dans de nouvelles logiques « certificatrices » qui existent depuis longtemps en informatique (certifications Microsoft par exemple et les certifications Google) et évidemment en langues, mais c’est bien l’ensemble du marché des diverses compétences qui est impacté. L’enjeu est à mon sens pour le public de savoir se replacer et de reprendre le contrôle de la machine en devant en quelque sorte une banque centrale des savoirs et des compétences, même s’il s’agit en fait d’avoir une autorité détentrice de l’authenticité du registre avec des logiques distribuées plutôt que centralisatrices.
Cela signifie probablement aussi sortir des temporalités classiques du temps scolaire. Cela signifie la possibilité de repasser des épreuves plusieurs fois pour augmenter son score. Désolé, mais il faut clairement réintroduire des logiques de performance individuelle dans le système sous peine de voir cette énergie réinvestie dans l’industrie florissante des jeux vidéo. Je n’ai rien contre eux, mais force est de constater que la libido sciendi et les capacités attentionnelles sont en train de partie ailleurs que dans la sphère scolaire.
Cela signifie aussi de travailler les formes de production qui permettent de mesurer les compétences, en se rappelant clairement que la compétence mêle savoirs et savoir-faire, et que la compétence n’est pas que procédurale. J’observe de plus en plus le fait de diminuer les savoirs au profit de compétence procédurale, parfois trop ambitieuse et impossible à atteindre du fait d’un déficit de savoir.
Ce n’est pas une commission de programme qu’il faut développer conjointement entre MEN et MENSR (et sans doute avec d’autres acteurs de la formation public et privé), mais bien une réflexion et une nouvelle opérationnalité si on veut sauver nos institutions de savoir.
Sous peine que nos futurs étudiants ne soient pas recrutés avec le BAC, mais avec des certificats de compétences en langue française (Voltaire), en langue (Toefl, etc.), en informatique et numérique (Google, Facebook, et universités américaines). Pire, les meilleurs (et les plus fortunés et initiés ?) ne seront peut-être même pas allés au lycée et n’auront donc jamais vu l’utilité de passer le bac…y compris le grand oral, car ils auront passé un Tedx Junior…
Allez, c’est vrai, pourquoi s’inquiéter ? Ces étudiants ne viendront pas à l’université, ni même dans nos grandes écoles… mais au sein des Silicon Universities qui fleuriront sur notre sol pendant que seront encore en train de se disputer les tenants du discours néo-managérial et ceux du néo-communisme. Les moins chanceux passeront les certifications cheap pour être payés à la microtâche.
Parution : les humanités digitales, historique et développements
J’ai le plaisir d’annoncer la parution d’un nouvel ouvrage chez Iste Editions, intitulé Les Humanités digitales, historique et développements.
Cet ouvrage s’inscrit dans une poursuite des travaux entamés depuis Le Temps des humanités digitales (avec un chapitre consacré à la petite histoire du domaine écrit avec Frédéric Clavert), à la suite de l’atelier du ThatCamp « pour une histoire longue des humanités digitales » et deux ans après l’article sur les fait que les humanités digitales précèdent le numérique.
L’ouvrage tente une nouvelle manière de concevoir l’évolution des humanités digitales que j’appelle volontairement ainsi plutôt qu’humanités numériques. Ce travail a été réalisé à la suite d’une sorte de défi lancé par Jean-Max Noyer. J’ai tenté d’effectuer ce travail historique et épistémologique, difficile, complexe et assurément imparfait.
Vous pourrez trouver de plus amples renseignements sur le site de l’éditeur. Une version ebook est proposée à partir de 9,90 euros. Pour l’ouvrage papier, ce sera un peu plus onéreux.
Pour vous faire une idée, le site de l’éditeur met en ligne la table des matières et le premier chapitre introductif.
Au menu, vous trouverez donc des références à des chercheurs et personnages impliqués depuis la période médiévale jusqu’au vingtième-siècle. On rentrer dans l’histoire longue et cet ouvrage se veut une tentative pour impulser des recherches dans une telle perspective. Mais la suite de l’aventure ne pourra désormais être que collective.
A noter qu’une version en anglais va également paraître prochainement.
Comment maîtriser son temps ou comment se maîtriser soi-même ?
J’ouvre l’année 2018 sur un discours qui fait écho au texte d’Umberto Eco sur le temps de l’enseignant-chercheur qui se trouve dans le recueil « comment voyager avec un saumon » et qui vient d’avoir un regain d’intérêt sur twitter.
Le texte d’Eco montre un éclatement des activités entre cours, conférences, lectures diverses, corrections de copies, soutenances de thèse, etc. Cet éclatement n’a eu de cesse de croître notamment en ce qui concerne les parties « messageries » et réseaux sociaux qui ne sont pas évoquées dans le texte d’Umberto Eco. Je ne parle même pas des aspects administratifs ou montages de projets.
Eco concluait avec humour au final qu’il n’avait pas vraiment le temps de fumer :
« Et le tabac ? À raison de soixante cigarettes par jour, une demi-minute pour chercher le paquet, allumer et éteindre, cela fait 182 heures. Je ne les ai pas. Je vais devoir arrêter de fumer. »
Peu aisé d’arrêté une addiction en effet.
Depuis, plusieurs mois, je m’interroge sur mes habitudes et pratiques. Je blogue moins, non pas que je ne souhaite plus écrire, mais je privilégie désormais d’autres formes.
Mes travaux d’articles scientifiques, d’ouvrages, de ma récente HDR (décembre 2017) m’ont laissé peu de temps pour écrire sur le blog. J’ai à peine pris le temps d’annoncer certains évènements clefs, c’est pour dire.
Si je considère que j’ai eu raison de consacrer une partie de mon travail d’écriture sur de nouveaux supports, notamment parce que j’ai de plus en plus l’impression que la consultation des blogs diminue au profit de formes plus courtes ou de types vidéo, j’ai aussi le sentiment que le mécanisme dominant reste celui du discours d’opposition ou de provocation pour obtenir l’assentiment ou des vues.
Je vais donc continuer à bloguer, mais modestement et surtout à l’écart de l’actualité, ce qui peut parfois sembler paradoxal, puisque le principe du blog réside dans sa possibilité de réagir à chaud. Néanmoins, ce qui m’intéresse désormais, c’est tout l’inverse.
Au point que depuis des mois, je me prépare à opérer un changement radical sur les réseaux sociaux qui me prennent non seulement du temps, mais que j’estime souvent intéressants, car mes flux me ramènent de l’information pertinente. Néanmoins, ce qui me prend du temps et de l’énergie, c’est la lecture de messages très orientés politiquement, sûrs d’eux, donneurs de leçons, auxquels j’ai parfois envie de réagir également avec virulence. Mais je me retiens. Je lis parfois les échanges de tweets et ce qui est sidérant, c’est la violence des propos et surtout l’impression d’une frustration immense qui s’en dégage. Les enseignants-chercheurs n’étant pas toujours en reste.
Si je m’efforce de conserver une diversité d’opinions dans mes réseaux, j’avoue en être fatigué dans cette quête difficile de l’équilibre. Il fut un temps je m’amusais à lire les commentaires du Figaro, cela me donnait une image de l’opinion d’une frange de la population. Twitter y suffit désormais et parfois Facebook.
Malheureusement, je ne parviens pas aisément à m’en extraire au point au final de regretter le temps où les agrégateurs RSS étaient puissants et qu’ils m’épargnaient au final le brouhaha des commentaires et des frustrations diverses. Ce n’est plus l’information bonne ou mauvaise qui domine, mais ce qui l’entoure. Ce n’est pas le commun, mais le commentaire permanent. Ce n’est pas la communication, ni même la com’, mais une forme de commisération inaudible parfois.
Je souhaite m’en extraire peu à peu, ce qui signifie que je vais sans doute moins m’exprimer sur Twitter et beaucoup moins consulter Facebook. Mais ce sont de redoutables outils de mobilisation mentale, je ne prétends pas m’en écarter totalement d’un coup. La maîtrise de son temps passe par une maîtrise de soi peu aisée. Il ne s’agit pas d’une déconnexion de toute manière, mais plutôt le désir réfléchi de passer par des modes d’expression sur du long terme.
Cela va me laisser le temps de réaliser de nouveaux projets d’écriture pour cette année 2018. En attendant, vous pourrez me retrouver dans un nouvel ouvrage.
La fabrique du faux, l’invention de Belbo Corrigane
J’ai réalisé il y a quelques semaines un document à destination de mes étudiants pour le cours d’analyse documentaire, cours pendant lequel il s’agit surtout de produire des résumés indicatifs et informatifs. L’essentiel d’ailleurs reposant un gros travail d’exercices sur des textes pour produire des résumés informatifs. Mes étudiants ont une moyenne d’âge de 18-19 ans puisqu’il s’agit de première année de DUT avec quelques années spéciales en DUT Infonum. J’avais noté que les étudiants n’avaient pas pris le réflexe d’aller voir les concepts inconnus, mais aussi les identités des personnes citées dans les articles qui figurent dans le corpus de documents de travail. J’avais incité dès lors à ce qu’ils prennent le réflexe de devenir des professionnels de l’information en allant vérifier systématiquement les éléments qu’ils ne connaissaient pas. Jusque-là finalement, rien de nouveau à cette vieille habitude scolaire qui s’exerçait davantage dans la consultation du dictionnaire il y a 25 ans. L’analyse documentaire n’est en rien un art révolutionnaire, mais c’est une pratique extensive qui doit s’exercer finalement avec des documents issus du web. J’avais prévenu mes étudiants que ce manque de réflexe quant à la vérification des faits était gênant et que j’aurais pu produire des textes faux dans le corpus. J’avais ajouté que j’allais sans doute un jour les piéger.
Et j’ai tenu parole… plusieurs semaines après en leur confiant à la fin d’un cours, un document de travail pour qu’il puisse à nouveau s’exercer. Or ce document est totalement faux. J’ai pris soin de mettre en ligne sur Medium ce document afin d’obliger quelque peu les étudiants à aller voir plus loin. Mais au bout de quelques jours, aucun d’entre eux n’avait relevé la supercherie. Pire, une étudiante m’avait rendu le travail de résumé sur ce document complètement faux. Je pris alors la décision d’alerter via le hashtag #infonum que je leur avais fait une petite blague et qu’il serait temps de mener l’enquête. Je rencontre de nouveaux usages et comportements avec mes nouveaux étudiants cette année, des dispositifs qui fonctionnaient jusque-là, comme la correction collective des travaux avec un pad collaboratif projeté a bien du mal à fonctionner sans doute par manque de projection collective. J’ai été contraint pour maintenir l’attention et la motivation, de donner des points bonus lors de bonnes réponses à des questions. Ce genre de situation les stimule. De là, à ce que je sois contraint d’installer des buzzers…
Du coup, c’est en relançant l’intérêt sur twitter que les étudiants se sont mis à chercher et se sont penchés sur le texte pour découvrir enfin la supercherie.
Il est vrai que le texte présente en apparence toutes les logiques d’une démonstration et semble fondé sur une véracité liée à des observations, des rencontres et des entretiens par un auteur qui semble être spécialiste.
Cela ressemble à du vrai… et il faut bien aussi prendre en considération qu’on imagine mal un professeur confier un faux document. J’avais pris soin de ne pas entrer dans les logiques de pourrissement qui consistent à venir polluer un travail collectif et collaboratif comme sur Wikipédia. L’objectif est clairement pédagogique, et j’ai donc décidé de conserver l’article en ligne, mais avec une mention explicative, notamment pour quiconque voudrait reproduire l’expérience en s’inspirant de ce texte. La pratique du faux s’inscrivait aussi en prolongation du cours de culture de l’information donnée par un de mes collègues qui leur avait montré d’ailleurs des cas exemplaires.
Pourtant, j’avais laissé des éléments assez grossiers, mais qui culturellement n’était pas si aisés à identifier notamment pour des questions générationnelles.
J’en donne les clefs ici.
Premièrement, l’auteur Belbo Corrigane que je présente comme « Ancien ingénieur en systèmes d’information, désormais consultant et observateur des évolutions digitales. Actuellement en investigation dans la Silicon Valley. » est une invention dans le genre, « plus c’est gros, plus ça passe » avec des éléments bibliographiques dans le style des plus grands mythomanes de Linkedin. Et pourtant, tout indique que Belbo est tout petit… Il y a bien sûr l’homophonie Belbo, Bilbo, référence à Tolkien bien connue de tous. Les Bretons connaissent les korrigans et les korriganes, ces petits êtres malicieux qui peuvent vous faire perdre le temps et bien plus encore durant des danses infinies. Le patronyme Corrigane renforçait drôlement le prénom. Mais si j’ai choisi Belbo plutôt que Bilbo… c’est par référence à Umberto Eco et le Pendule de Foucault, donc un des personnages principaux est Jacopo… Belbo, un éditeur qui participe à la fabrique du faux complot. Le lecteur intéressé pourra aller voir du coup du côté de Casaubon qui a inspiré le nom du personnage principal du même livre. Rien que le nom de l’auteur pouvait placer le lecteur avisé sur la piste d’une aventure, encore fallait-il en avoir envie. Bref, n’est pas Gandalf qui veut, je dois bien le constater.
Pour le concept de captabilité, j’ai inventé un concept qui finalement peut paraître vraisemblable et qui n’est pas totalement idiot à la lecture. Moche probablement, mais on pouvait s’y méprendre, surtout quand on l’accole avec de la disruption à la mode.
J’ai ajouté des images sur le document en ligne. Elles ne figurent pas sur le document papier que j’ai confié à mes étudiants. Elles sont aussi des moyens de constater en utilisant un moteur d’images comme Tineye ou Google qu’il y a comme un problème… (j’avais évoqué ces outils comme moyen d’évaluer l’information il y a quelques années.
Admettons qu’on pouvait encore y croire jusque-là…J’évoque une société dont le nom est Morlay & Toons… Un nom étrange pour le moins, tout droit sorti d’un monde fictionnel comme l’indique les Toons… et dont l’homophonie avec Eugène Tooms, ce serial killer de X-Files résonne formidablement bien avec Morlay… ou plutôt Morley la marque que fume le « smoker » de la même série.
Pour clore le tout dans cette affaire, les noms des chercheurs et créateurs d’entreprise impliqués finissaient par révéler la supercherie : le professeur Motoei Shinzawa de l’Université de Santa Barbara, Patrick Persavon et Luis Perenna.
C’est le nom du professeur qui a mis la puce à l’oreille aux étudiants… qui ont découvert qu’il existait un mangaka du même nom… celui qui a créé « le collège fou fou fou », ce qui ne pouvait que confirmer qu’on était vraiment dans un article de fiction. Pour contribuer à la triade bidonnée figurait Patrick Persavon qu’on pourrait imaginer comme fils du fameux Paul Persavon… auteur des paroles de nombreux génériques de dessins animés comme Cobra par exemple et qui dissimule en fait … Antoine De Caunes.
Enfin, les amateurs de héros de la littérature française connaissent Luis Perenna ou plutôt Don Luis Perenna… qui est l’anagramme d’Arsène Lupin dans le roman Les dents du tigre !
Au final, l’objectif était de donner une forme de leçon au travers d’un document. Une nouvelle fois, l’évaluation de l’information passe pour beaucoup par l’étude des documents, une condition qui devrait replacer le résumé de documents à un niveau plus important dans la hiérarchique des exercices, plutôt que de vouloir en passer encore et toujours par la dictée.